Dr Francis Ampère Simo: « La presse privée ne saurait vivre sans une subvention conséquente »

Le spécialiste en droit de l'information et de la communication analyse l'environnement de la presse privée tout en donnant son point de vue sur les nouvelles conditions d'attribution de l'aide à la presse.

Quel regard portez-vous sur la presse privée au Cameroun ?

La presse privée au Cameroun est une presse dynamique mais paradoxalement pauvre parce qu’incapable de rentabilité avec des ventes faibles et l’absence de publicité. Son indépendance est fortement compromise par ses difficultés économiques. Incapables de s’autofinancer, nombreux sont les organes de presse qui survivent grâce à la générosité des politiciens et des hommes d’affaires. Ce qui affecte considérablement les principes fondamentaux de la profession.

Qu’est ce qui justifie la précarité de la presse ?

La précarité de la presse au Cameroun résulte de l’effondrement de son modèle économique basé sur la vente au numéro ainsi qu’au difficile accès à la publicité des grandes structures et organismes publics. Ce qui génère son incapacité à s’autofinancer du fait de la faiblesse des ventes et de la rareté des revenus publicitaires. Dans ces conditions, la presse privée ne saurait être économiquement viable et ne saurait survivre sans un subventionnement conséquent.

 le gouvernement pour assainir ce secteur et surtout viabiliser les médias octroi chaque année une aide à la presse privée d’une enveloppe oscillant entre 150 et 250 millions de francs CFA. Mais certains patrons jugent cette aide petite. Etes-vous du même avis que ces patrons de presse ? Pourquoi l’Etat n’accorde-t-il pas assez d’argent aux médias privés ?

Le montant débloqué pour l’aide à la presse privée peut sembler dérisoire si on fait une comparaison avec les autres pays. En Côte d’Ivoire 726 millions en 2013, au Gabon : 2 milliards de Francs Cfa, au Sénégal : 700 millions etc. A notre sens, quel que soit le montant de l’aide, ce n’est pas la solution. Les organes de presse devrait revoir en profondeur leur modèle de financement en privilégiant la transition vers le numérique, et en s’adaptant aux réalités du monde moderne, sans trop compter sur l’aide de l’Etat. Le ministre de la Communication a récemment signé de nouveaux textes régissant l’aide à la presse privée. Quelles sont les innovations ?

La principale innovation de ce texte est qu’il est essentiellement axé sur la presse privée. Il a exclu de son mécanisme d’aide les entreprises de presse audiovisuelles qui sont désormais éligibles au financement du Fonds spécial de développement de l’audiovisuel prévu par la loi de 2015 régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun. Ce n’était pas le cas du précédent arrêté qui prenait en compte tous les secteurs de la communication. Cet arrêté de 2020 prend également en compte d’autres formes d’aides à la presse. Par le passé, l’aide publique à la presse se limitait en l’attribution de ressources financières aux organes de presse et aux entreprises de presse. Dans sa nouvelle configuration, l’arrêté ministériel du 13 avril 2020 qui abroge celui du 23 septembre 2002 dispose en son article 4 que : l’appui institutionnel de l’Etat à la presse à capitaux privés est octroyé selon des domaines et types d’interventions précis. Le soutien des pouvoirs publics à la presse écrite privée devrait s’exprimer désormais en : octroi du matériel technique d’exploitation, appui financier à l’achat des intrants matériels essentiels servant à la production des contenus médiatiques ; allocation financière pour la couverture des grands événements nationaux et internationaux, appui financier à la distribution des journaux et appui au renforcement des capacités. Le texte envisage un contrôle de l’utilisation des fonds et surtout l’allocation par virement bancaire. Le nouveau texte intègre dans la commission qui étudiera les dossiers de demande d’aide de nouvelles administrations et surtout renforce la participation des représentants de la profession. A cet effet, il est prévu un représentant des éditeurs de presse d’expression anglophone, un représentant des éditeurs de presse d’expression francophone, un représentant de la presse privée en ligne. Le nouveau texte a également densifié le régime de sanctions. Outre celles déjà connues qui allaient de la suspension provisoire de toute ou partie de l’aide octroyée à la radiation définitive de l’éligibilité à l’aide, l’article 24 du nouvel arrêté précise que les entreprises de presse sous le coup d’une sanction de l’instance nationale en charge de la régulation des médias, ou de toute autre instance d’autorégulation reconnue par l’Etat, sont d’office exclues du bénéfice de l’appui institutionnel de l’Etat à la presse à capitaux privés.

Quelle analyse faites-vous de ces textes ?

Le moins qu’on puisse dire est que les conditions d’accès à l’aide étant devenues draconiennes avec notamment l’obligation de mettre en place de véritables entreprises de presse, d’assurer et de protéger socialement les employés et autres collaborateurs, de respecter les obligations fiscales, de présenter les copies certifiées conformes des contrats de travail des personnels de la structure demanderesse, de justifier la présence aux kiosques pour les organes de presse écrite; de justifier que l’on a régulièrement satisfait aux dépôts administratifs ; d’avoir un compte d’utilisation de l’aide publique à la communication privée de l’exercice précédent, il y a fort à parier qu’il y aura désormais très peu de demandeurs.. On peut donc s’attendre à ce que les montants octroyés soient plus conséquents.

Ce nouveau décret écarte les aventuriers et les indisciplinés. Pensez-vous que ce décret est suffisant pour viabiliser et assainir la presse privée ? Que faut-il faire réellement pour assainir et viabiliser les médias au Cameroun ?

Au-delà d’écarter les aventuriers et les indisciplinés, pour viabiliser effectivement le secteur de la presse écrite au Cameroun, il faudrait que soit institutionnaliser une subvention conséquente de l’Etat à la presse en lieu et place de l’aide. Le montant de cette subvention devant prendre en compte l’activité de service public menée par la presse privée en multipliant les aides directes et indirectes.

Ne pensez-vous pas qu’il faille également revoir la loi de 90 portant sur la liberté de communication sociale ?

La loi de 1990 sur la liberté de communication sociale mérite d’être révisée à plus d’un titre. Nous pouvons de manière spécifique évoquer la nécessité de la prise en compte de l’encadrement juridique de la presse en ligne dans cette loi, la prise en compte de la spécificité de l’activité journalistique et l’autonomisation des infractions de presse dans la loi de 1990. La loi de 1990 étant une loi spéciale, les infractions par voie médiatique ne devraient plus être des infractions de droit commun.

Qu’est ce qui justifie la précarité de la presse ?

La précarité de la presse au Cameroun résulte de l’effondrement de son modèle économique basé sur la vente au numéro ainsi qu’au difficile accès à la publicité des grandes structures et organismes publics. Ce qui génère son incapacité à s’autofinancer du fait de la faiblesse des ventes et de la rareté des revenus publicitaires. Dans ces conditions, la presse privée ne saurait être économiquement viable et ne saurait survivre sans un subventionnement conséquent.

 le gouvernement pour assainir ce secteur et surtout viabiliser les médias octroi chaque année une aide à la presse privée d’une enveloppe oscillant entre 150 et 250 millions de francs CFA. Mais certains patrons jugent cette aide petite. Etes-vous du même avis que ces patrons de presse ? Pourquoi l’Etat n’accorde-t-il pas assez d’argent aux médias privés ?

Le montant débloqué pour l’aide à la presse privée peut sembler dérisoire si on fait une comparaison avec les autres pays. En Côte d’Ivoire 726 millions en 2013, au Gabon : 2 milliards de Francs Cfa, au Sénégal : 700 millions etc. A notre sens, quel que soit le montant de l’aide, ce n’est pas la solution. Les organes de presse devrait revoir en profondeur leur modèle de financement en privilégiant la transition vers le numérique, et en s’adaptant aux réalités du monde moderne, sans trop compter sur l’aide de l’Etat. Le ministre de la Communication a récemment signé de nouveaux textes régissant l’aide à la presse privée. Quelles sont les innovations ?

La principale innovation de ce texte est qu’il est essentiellement axé sur la presse privée. Il a exclu de son mécanisme d’aide les entreprises de presse audiovisuelles qui sont désormais éligibles au financement du Fonds spécial de développement de l’audiovisuel prévu par la loi de 2015 régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun. Ce n’était pas le cas du précédent arrêté qui prenait en compte tous les secteurs de la communication. Cet arrêté de 2020 prend également en compte d’autres formes d’aides à la presse. Par le passé, l’aide publique à la presse se limitait en l’attribution de ressources financières aux organes de presse et aux entreprises de presse. Dans sa nouvelle configuration, l’arrêté ministériel du 13 avril 2020 qui abroge celui du 23 septembre 2002 dispose en son article 4 que : l’appui institutionnel de l’Etat à la presse à capitaux privés est octroyé selon des domaines et types d’interventions précis. Le soutien des pouvoirs publics à la presse écrite privée devrait s’exprimer désormais en : octroi du matériel technique d’exploitation, appui financier à l’achat des intrants matériels essentiels servant à la production des contenus médiatiques ; allocation financière pour la couverture des grands événements nationaux et internationaux, appui financier à la distribution des journaux et appui au renforcement des capacités. Le texte envisage un contrôle de l’utilisation des fonds et surtout l’allocation par virement bancaire. Le nouveau texte intègre dans la commission qui étudiera les dossiers de demande d’aide de nouvelles administrations et surtout renforce la participation des représentants de la profession. A cet effet, il est prévu un représentant des éditeurs de presse d’expression anglophone, un représentant des éditeurs de presse d’expression francophone, un représentant de la presse privée en ligne. Le nouveau texte a également densifié le régime de sanctions. Outre celles déjà connues qui allaient de la suspension provisoire de toute ou partie de l’aide octroyée à la radiation définitive de l’éligibilité à l’aide, l’article 24 du nouvel arrêté précise que les entreprises de presse sous le coup d’une sanction de l’instance nationale en charge de la régulation des médias, ou de toute autre instance d’autorégulation reconnue par l’Etat, sont d’office exclues du bénéfice de l’appui institutionnel de l’Etat à la presse à capitaux privés.

Quelle analyse faites-vous de ces textes ?

Le moins qu’on puisse dire est que les conditions d’accès à l’aide étant devenues draconiennes avec notamment l’obligation de mettre en place de véritables entreprises de presse, d’assurer et de protéger socialement les employés et autres collaborateurs, de respecter les obligations fiscales, de présenter les copies certifiées conformes des contrats de travail des personnels de la structure demanderesse, de justifier la présence aux kiosques pour les organes de presse écrite; de justifier que l’on a régulièrement satisfait aux dépôts administratifs ; d’avoir un compte d’utilisation de l’aide publique à la communication privée de l’exercice précédent, il y a fort à parier qu’il y aura désormais très peu de demandeurs.. On peut donc s’attendre à ce que les montants octroyés soient plus conséquents.

Ce nouveau décret écarte les aventuriers et les indisciplinés. Pensez-vous que ce décret est suffisant pour viabiliser et assainir la presse privée ? Que faut-il faire réellement pour assainir et viabiliser les médias au Cameroun ?

Au-delà d’écarter les aventuriers et les indisciplinés, pour viabiliser effectivement le secteur de la presse écrite au Cameroun, il faudrait que soit institutionnaliser une subvention conséquente de l’Etat à la presse en lieu et place de l’aide. Le montant de cette subvention devant prendre en compte l’activité de service public menée par la presse privée en multipliant les aides directes et indirectes.

Ne pensez-vous pas qu’il faille également revoir la loi de 90 portant sur la liberté de communication sociale ?

La loi de 1990 sur la liberté de communication sociale mérite d’être révisée à plus d’un titre. Nous pouvons de manière spécifique évoquer la nécessité de la prise en compte de l’encadrement juridique de la presse en ligne dans cette loi, la prise en compte de la spécificité de l’activité journalistique et l’autonomisation des infractions de presse dans la loi de 1990. La loi de 1990 étant une loi spéciale, les infractions par voie médiatique ne devraient plus être des infractions de droit commun.

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