Dr Eric Wilson Fofack: « la médiation Suisse pourra connaitre un dénouement heureux »

Pour le chercheur associé au Groupe de recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité (Grip) de Bruxelles, les différentes parties à la crise anglophone devront s’abstenir de faire des déclarations ou de poser des actes qui pourraient ralentir ou faire échouer la médiation.

« la médiation suisse pourra connaitre un dénouement heureux »

Le Département Fédéral des affaires Etrangères suisse a annoncé le 27 juin dernier qu’il a été mandaté pour jouer un rôle dans la résolution de la crise anglophone. Selon vous quel est le contexte qui a conduit au recours à cette médiation helvétique ?

Lors de la visite du Premier ministre Joseph Dion Ngute dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au début du mois de mai 2019 ; visite au cours de laquelle il avait annoncé que « (…) le Chef de l’Etat était prêt pour un dialogue inclusif qui aborderait tous les sujets, sauf la sécession (…) », l’espoir suscité par son discours apaisant à l’endroit des populations avait très vite cédé la place à quelques inquiétudes lorsque certains membres du gouvernement ont semblé ramer à contre-courant de la volonté du chef de l’Etat exprimée aux populations par le Premier ministre. Il s’agit notamment de la sortie du ministre de l’Administration Territoriale, sur les antennes de la télévision française France 24 et quelques jours après, celle du ministre des Relations Extérieures qui, devant le corps diplomatique à Yaoundé, laissait entendre que « (…) le dialogue est un processus et non un évènement (…) ». Il faut dire que de tels propos ont fait l’objet de diverses interprétations pas du tout rassurantes pour l’opinion qui à son niveau, attendait des actes forts. Néanmoins, l’on a finalement appris, d’abord à travers une rumeur qui sera finalement confirmée le 27 juin par un communiqué du Département Fédéral des Affaires Etrangères (Dfae) que « (…) La Suisse a été mandatée par une majorité des parties pour faciliter un processus de négociation inclusif (…) ». Le même communique précise que « le Dfae s’emploie à trouver une solution pacifique et durable à la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun, en collaboration avec le Centre pour le dialogue humanitaire », une organisation basée à Genève. Même si ce communiqué du gouvernement Helvétique ne laisse transparaitre aucune information ni sur le lieu, ni sur la date, encore moins sur l’identité des acteurs, voire même à propos d’une « première rencontre » qui se serait déjà tenue ; pas de détails non plus quant au contenu des échanges durant les concertations, la Suisse justifiant cela par son désir de privilégier les « principes de stricte neutralité et de discrétion ». Il faut se féliciter de ce que quelque chose soit finalement en train d’être fait dans le sens à l’effet de poser les bases d’un dialogue tel que souhaité, voulu et demandé par tous tant à l’échelle nationale qu’internationale.

A votre avis, qu’est-ce qui a motivé le choix porté sur la Suisse comme médiateur dans la crise anglophone ?

S’agissant de votre question sur les motivations qui ont présidé au choix de ce partenaire du Cameroun qu’est la Suisse, pour mener une médiation entre le gouvernement et les groupes armés indépendantistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de notre pays, il faut tout simplement dire que même s’il n’est pas encore possible d’identifier qui a véritablement choisi la Suisse pour cette médiation, il faut retenir que cela ne relève pas d’un hasard car on se souvient que l’offre de médiation suisse s’inscrit dans un processus qui échappe peut être à l’opinion, mais souvenons-nous qu’en 2018 déjà, le chef de l’Etat, Paul Biya avait déjà reçu en audience au palais de l’Unité, Nicoletta Mariolini, Déléguée Fédérale suisse au plurilinguisme, pour un partage d’expérience en matière de gestion de la diversité. Celui-ci avait au cours de son séjour en terre camerounaise rendu visite à de nombreuses autres autorités du pays et même à la Commission Nationale pour le Bilinguisme et le multiculturalisme. A l’époque, l’on parlait d’un « partage d’expérience en matière de gestion de la diversité ». Je précise que la Suisse est un exemple d’organisation fédérale de l’Etat cité dans le monde. En avril 2019, c’est Pietro Lazzeri, Ambassadeur de Suisse au Cameroun qui, au cours d’une audience, que lui a accordée le chef de l’Etat camerounais, avait exprimé la disponibilité de son pays à appuyer le Cameroun dans la résolution de la crise anglophone. De ce fait, on pourrait donc dire qu’il s’agit là d’une manifestation de la solidarité internationale qui voudrait qu’un partenaire du Cameroun se mette à sa disposition pour l’aider à sortir d’une crise qui n’a que trop duré. L’autre motivation pourrait être le statut de la Suisse qui se veut un pays neutre sur la scène internationale et donc pouvant facilement faire l’unanimité des deux parties, surtout que l’on ne lui connaît pas de passé colonial qui pourrait prêter le flanc à une suspicion inutile. Bien plus, la Suisse est le pays de la diplomatie mondiale, la plupart des organisations internationales y ont leur siège ce qui en fait le premier pays au monde où l’on retrouve au km2, le grand nombre de diplomates. C’est un statut qui joue en sa faveur dans les cas de médiation.

Quelles sont les conditions pour parvenir à un dénouement heureux de cette crise ?

D’entrée de jeu et en tant qu’historien des relations internationales, je dirais qu’il faut reconnaitre que toute situation conflictuelle n’est censée pouvoir se dénouer qu’à condition de dialoguer ou, mieux encore, de faire surgir ce qui a été enfoui au plus profond des consciences et des mémoires. Se ressouvenir des malheurs et des injustices, les exposer puis les voir reconnaître semblent autant d’étapes indispensables au retour à la normale. Dans ce contexte, une place cruciale doit être réservée au savoir consacré à la compréhension des événements d’antan, c’est-à-dire l’histoire.

Quelles sont les spécificités des méthodes et techniques utilisées par la Suisse dans la résolution des conflits ?

La Suisse, pays ressuscité par la grâce des grandes puissances au lendemain de la conquête napoléonienne est un assemblage de cantons souverains. Elle passe pour être une démocratie tranquille. Cependant, n’oublions pas qu’elle a enregistré dans son histoire lors de la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreuses crises identitaires. Durant cette période, les Helvètes s’entre-tuèrent au cours d’une courte guerre dite du Sonderbund qui, au mois de novembre 1847, vit se soulever de petits cantons conservateurs contre les prétentions centralisatrices de riches cantons libéraux. Durant les années 1970 et 1980, des mobilisations collectives, à l’image du mouvement séparatiste du Rassemblement Jurassien et du Mouvement des Autonomes Zurichois, d’intensité comparables à ce que nous avons aujourd’hui dans les deux regions anglophones du Cameroun, ont refait surface et ce n’est que par la négociation, le dialogue, le tout dans un esprit de conciliation que le problème fut résolu. Ces négociations ou ce dialogue contribuèrent à reconstruire une unité nationale préfigurant la Suisse d’aujourd’hui. En d’autres termes, la réconciliation helvétique est le résultat d’une histoire qui aménage la vérité et d’une politique mémorielle de vainqueurs laissant une place glorieuse et fondatrice aux vaincus. Jouissant d’un statut de pays neutre consacré par l’ensemble de la communauté internationale, la Suisse a, au fil du temps, développé une politique spécifique de promotion de la paix à travers un programme assez particulier, au regard de ce qui se fait ailleurs, et financé par le Département Fédéral des Affaires Etrangères (Dfea). Globalement, cette spécificité suisse se décline en quelques points notamment les Programmes de promotion de la paix de plusieurs œuvres suisses d’entraide ou de parrainage ; les Programmes et projets de promotion de la paix de quelques organisations, ayant explicitement pour objectifs la promotion de la paix ou la gestion des conflits et conduits en partenariat avec les organisations locales de différents pays du Sud et de l’Est ; les Programmes de développement comprenant des éléments ciblés de promotion de la paix tels que des offres intégrées de médiation ou de formation continue sur la gestion des conflits, de prévention de la violence, mais aussi de défense des droits humains ; le travail de plaidoyer (advocacy) et le lobbying pour la politique et la promotion de la paix. Dans la même logique, les activités tenant compte des conflits (conflict sensitive) et l’approche fondée sur les droits humains (human rights-based approach) jouent un rôle essentiel dans le programme d’action de la majorité des œuvres d’entraide ; c’est cela la spécificité suisse. Des statistiques officielles indiquent que la Suisse a accompagné plus de 30 processus de paix dans près de 20 pays à travers le monde.

Quels sont les pays dans lesquels la république helvétique est intervenue en Afrique, et plus précisément en Afrique centrale ?

La Suisse s’est toujours montrée assez altruiste à l’égard de l’ensemble de la communauté mondiale, surtout au niveau du continent africain. En plus des actions menées par le gouvernement helvétique à travers le Département Fédéral des Affaires étrangères (DFAE) en faveur de la paix et du dialogue, de nombreuses organisations suisses de développement réunies pour certaines dans l’organisation Alliance Sud (notamment Communauté de travail Swissaid, Action de Carême, Pain pour le prochain, Helvetas, Caritas, Eper, etc.) concourent à la résolution des crises dans le monde et même en Afrique. Ces actions ont ainsi déjà bénéficié à des pays comme l’Afrique du Sud où la Suisse était l’un des partenaires privilégiés du processus « Vérité et Réconciliation ». Plus proche de nous en Afrique centrale, on a aussi vu le gouvernement helvétique jouer le rôle de facilitateur dans la crise burundaise, rwandaise, en République Démocratique du Congo (RDC) et en République Centrafricaine (RCA)… Dans ces différentes situations, elle a toujours fait prévaloir son statut de pays neutre pour convaincre les parties en conflit, ceci à l’effet de favoriser un retour à la table des négociations pour un dialogue, socle de paix et de stabilité. De mon point de vue, c’est ce qu’elle entend faire au Cameroun pour faciliter et rapprocher les parties et favoriser le tenue d’un dialoguer qui doit se faire entre Camerounais car, ne l’oublions jamais, la solution à cette crise dans les régions anglophones doit se trouver par les Camerounais et entre Camerounais ; une tierce partie ne doit intervenir que pour la facilitation et pas pour autre chose.

Quels ont été les résultats obtenus pour les cas de médiation dirigé par la Suisse en Afrique ?

En termes de résultats, il faut dire que cela dépend des réalités inhérentes à chaque crise ou conflit qui a vu l’intervention de la Suisse dans son processus résolutif. Aussi, compte tenu du caractère extrêmement discret des médiations ou des interventions suisses, il est assez difficile de quantifier ou de mesurer ces résultats. Néanmoins, l’on peut se réjouir de ce que la plupart des crises en Afrique qui ont connu la médiation suisse ont pu connaitre un terme à ce jour, à l’exception du cas centrafricain qui reste une préoccupation majeure pour l’ensemble de la communauté internationale. Soyons optimistes sur le fait que la médiation suisse sur le cas Cameroun pourra connaitre un dénouement heureux.

A votre avis, quelles sont les chances de réussite de la médiation suisse dans le cadre de la résolution de la crise anglophone ?

Au regard du cas de la crise anglophone qui semble assez complexe du fait de ce que c’est d’abord une crise liée à la gouvernance politique, économique, il y a aussi que sa dimension historique et politique liée à la forme de l’Etat, qui en fait un cas assez particulier. Cependant, ne perdons pas de vue que si la sécession n’est pas envisageable, mais alors pas du tout, l’on pourrait envisager le fédéralisme qui semble admis et accepté par de nombreux Camerounais et même le président de la République Paul Biya, si l’on s’en tient aux propos tenus par le Premier ministre Joseph Dion Ngute, lors de sa dernière visite dans les deux régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest où il laissait entendre que « (…) le chef de l’Etat était prêt pour un dialogue inclusif qui aborderait tous les sujets, sauf la sécession (…) ». De mon point de vue, les chances de succès sont réelles, à condition que chacune des parties au dialogue y participe en gardant à l’esprit que le Cameroun est le seul bien commun que nous avons et que nous devons protéger. Les actions posées dans le cadre du dialogue suscité par la médiation suisse doivent converger vers l’idéal commun du vivre ensemble dans la justice sociale et d’un avenir commun dans une seule et même patrie qu’est le Cameroun ; quelle que soit la forme de l’Etat qui sera décidée lors du dialogue.

Combien de temps pourra durer cette médiation et en quoi est-ce que le processus de médiation en cours pourra impacter sur l’évolution de la crise ?

En matière de résolution de conflit ou de crise armée, l’on ne saurait déterminer ou décider à l’avance du temps que prendra la médiation car la médiation n’est qu’une étape du processus. Il faut d’abord convaincre les parties de la nécessité de se reconnaitre mutuellement la légitimité de participer aux débats, de se mettre ensemble pour discuter et lorsque cela est acquis, il faut convenir aussi du lieu de la discussion ou du dialogue avant de retenir de façon consensuelle les différents sujets à mettre sur la table des discussions et croyez-moi, ce n’est pas la chose la plus évidente, ni pour le médiateur, ni pour les parties en conflit. Donc pour une issue durable, il serait sage de ne pas se mettre une pression inutile, l’important étant une issue favorable à tous pour notre cher et beau pays. Il faut cependant relever que compte tenu de l’ampleur du drame humain et économique que cette crise anglophone a déjà généré, et du retard pris jusqu’à ce jour pour organiser un dialogue inclusif, il faut éviter des pertes de temps supplémentaires inutiles et aller aussi vite que possible vers une solution de paix durable, car les Camerounais de tous bords n’ont que trop souffert.

Quel devrait être l’attitude des deux parties pendant cette médiation ?

Pendant cette médiation, il est souhaité que les parties, notamment les leaders sécessionnistes et certains faucons ou membres de l’aile dure du gouvernement s’abstiennent de faire des déclarations ou de poser des actes qui pourraient ralentir ou faire échouer la médiation. Nous devons aussi faire confiance à cette médiation suisse et à toutes les bonnes volontés qui pourraient nous aider à trouver une issue heureuse. Car ne l’oublions jamais, le Cameroun est un bien commun et nous devons le préserver et travailler pour son développement.

Interview réalisée par Junior Matock et Joseph Essama ( Par Défis Actuels)

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