Dr Aristide Mono : « Les indisciplinés ont refusé de céder à l’arbitraire imposé par les barons du Rdpc »

Enseignant de science politique et analyste, il décrypte les enjeux du Conseil de discipline du Rdpc qui se tient depuis lundi dernier au siège du Comité central du parti au pouvoir.

Le Conseil de discipline du Rdpc se tient depuis lundi dernier, quelle appréciation faites-vous de cet événement ?

Cet exercice relève d’une routine qu’on observe dans tous les partis politiques qui tiennent à la discipline. Comme toute organisation humaine, il y a dans chaque structure partisane un besoin ardent de discipliner. Les comportements des membres au risque de prêter le flanc à l’anarchie qui ne peut avoir pour conséquence à terme que l’implosion du parti. Pour ma part, c’est donc un exercice normal, ce d’autant plus que cette organisation depuis des lustres a toujours été affectée par des attitudes dissidentes de certains de ses militants qui se recrutent aussi bien dans la base que dans la hiérarchie du parti. Le désordre était un peu moins accentué pendant la période monolithique, mais depuis la libéralisation du jeu politique au Cameroun consacrée par le retour au multipartisme, le Rdpc présente le visage du parti qui regorge assez de contestataires. Et les dernières élections législatives et municipales ont confirmé cette permanence du désordre au sein du Rdpc.

Ce Conseil se tient alors que les élections régionales sont de plus en plus annoncées. Qu’est-ce qui peut justifier le choix de ce timing précis? et pensez-vous qu’un tel Conseil est approprié à la veille d’une élection ?

Je ne sais pas si la date a été choisie en rapport avec les élections régionales en gestation ou alors il s’agit d’une simple coïncidence. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait un besoin de mise au point au sein du parti en terme de discipline depuis février. L’objectif étant l’assainissement des mœurs et le renforcement de la puissance du parti et donc son pouvoir. Autrement dit, le parti reprend la main après l’illusion de no man’s land érigée par les indisciplinés pendant la période électorale passée. La force revient forcément à l’autorité qui va, autant que se peut, raccommoder des pans du parti qui auront été détériorés lors des dernières élections. En plus de cette fonction curative ou réparatrice, ces audiences ont également une vocation dissuasive et persuasive. Maintenant est-ce que ces conseils ne vont pas affecter la rentabilité du parti au cas où les élections arrivaient à se tenir dans les prochains jours ? Selon moi, la priorité devait être accordée à la domestication du désordre avant la tenue des prochaines élections. En effet, aborder les échéances futures sans sanctions préalables des écarts d’hier c’est aggraver le désordre, car certains penseront que le parti a consacré l’impunité et par conséquent, ils peuvent récidiver ou alors se lancer à leur tour dans la dissidence. Et cela peut être plus coûteux que la peur de la fracture pré-électorale dont l’ampleur est largement minable.

Plusieurs personnes parlent d’épuration politique en cours au sein du parti au pouvoir, quel est votre point de vue sur la question ?

La thèse de l’épuration politique est possible voire plausible dans certains cas. Et là il faut interroger les motifs des convocations, leur construction et leur pertinence, parce que dans la plupart des cas, les indisciplinés sont des militants qui refusent de céder à l’arbitraire instauré au niveau de la base par des barrons locaux. Ce sont généralement des militants qui veulent faire obstruction à la dictature qui leur est imposé sous le couvert de la discipline du parti. Le principe de la discipline du parti a toujours été utilisé par les pontes locaux comme un instrument de brimade. L’arbitraire devant être accepté au nom de ladite discipline. Sous cet angle, les audiences convoquées s’affirment comme des comptoirs de règlement de comptes. Une ingénierie de docilisation forcée des « en bas d’en bas » dissidents ou des frustrés. En plus, le casting des clients de ces audiences peut sembler arbitraire parce qu’au fond les indisciplinés sont souvent des « plaignants », voire même les juges de ses conseils qui usent de leurs positions dominantes pour mater ceux qui s’opposent à leur dictature. On peut légitimement parler ici d’un casting à tête chercheuse ou à géométrie variable, d’où la question de l’objectivité et de la rigueur de ces multiples conseils depuis 1990 qui, au demeurant, n’arrivent pas à stopper le désordre. Ces conseils apparaissent donc comme des comptoirs de neutralisation des opposants à la dictature des apparatchiks locaux au sein du RDPC.

La plupart des militants indisciplinés sont accusés de n’avoir pas respecté les choix du Comité central lors des dernières élections législatives et municipales. Ne pensez-vous pas que cela est anti-démocratique ?

Il faut préalablement questionner l’objectivité des choix dits du comité central. Comment sont-ils élaborés ? Est-ce l’arbitraire des barrons locaux entériné au niveau national ou alors ce sont des choix de la base ? Au regard de mes recherches empiriques, je pense, sans prétention aucune, qu’il s’agit plus de l’arbitraire validé des barrons qui est souvent pris pour choix dits du comité central. C’est pourquoi il est important de revenir sur l’usage asymétrique et abusif de la notion de « discipline du parti » qui s’est affirmé dans le Rdpc comme un outil de brimade des contestations légitimes et un outil de validation passive de l’arbitraire. Et cela questionne naturellement les doses de démocratie que regorge l’expression « démocratique » dans « Rassemblement démocratique ». On a plus affaire à l’oligarchie qui n’a rien à voir avec l’oligarchie objective ou positive de la loi d’airain de l’oligarchie de Roberto Michels. C’est plutôt une oligarchie oppressive qui brime toute voix dissidente. Et la seule démarche idéale pour redonner toute les couleurs à la démocratie au sein du Rdpc c’est de dépouiller les barrons locaux de leur pouvoir de potentat pour le remettre à la base. Il s’agit de limiter la force de l’argent et le trafic d’influence pour permettre le triomphe de l’expression populaire au niveau de la base. L’investiture devrait être la validation du choix par élection de la base, l’avis de ceux qui investissent devant seulement porté sur les capacités et le sérieux réel de l’élu de la base. C’est cela la démocratie au sein des partis. Or au Rdpc, on assiste davantage à la validation par le comité central des choix imposés à la base par les barrons locaux.

Certains observateurs prédisent un avenir sombre pour le Rdpc. Êtes-vous de cet avis?

Le fonctionnement du Rdpc prête le flanc à ce type d’hypothèses. C’est un parti de barrons ou de groupes de barons qui contrôlent à leurs fins personnels des principautés politiques qu’on peut assimiler ici aux circonscriptions électorales. Et ces barrons vouent un culte non pas aux structures objectives comme le parti, son idéologie et son programme politique mais au leader central et acolytes, d’où la course permanente aux rites d’allégeance publique à ces derniers. Pire, cette allégeance est transactionnelle, c’est-à-dire hautement calculatoire en terme de conquête ou de sécurisation des rentes politico-administratives qui donnent souvent accès à des rentes économiques dans la perspective de l’Etat-mangeoire ou l’Etat-néopatrimonial. Le parti apparaît ainsi comme un groupe d’intérêts entretenu exclusivement par des militants du haut dans une césure idéologique et programmatique totale. Or, c’est l’idéologie et les objectifs programmatiques du parti qui constituent des éléments de fédération des membres d’un parti. Ce sont des structures objectives. Mais, le Rdpc semble avoir plutôt bâti son unicité sur des structures subjectives comme les individus et les intérêts, du coup la disparition éventuelle de ces intérêts et de ces personnes tel le leader national fait peser les risques d’implosion du parti.

Réalisée par Joseph Essama

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