Dj Arafat : une brève économie politique d’un deuil !

DJ Arafat : une brève économie politique d’un deuil ! Par Moussa Njoya, Politologue

Gouvernance: les paroles s’envolent mais la réalité reste !

Tel un coup de tonnerre sa mort a été annoncée. Telle une tornade la nouvelle s’est propagée aux quatre coins de la planète. Tel un déluge se sont déversés les hommages en sa faveur. Tel pour une véritable rock star se sont déroulés ses obsèques. Et puis, patatras ! Une horde de jeunes, manifestement drogués aux stupéfiants et surtout à la désinformation, les fameux fake news, s’est emparé et a dépouillé la dépouille de Houon Ange Didier, célèbre artiste ivoirien, plus connu sous le nom de scène de Dj Arafat, et icône d’une jeunesse en perte de repère. Cette profanation qui a choqué le monde, après un hommage qui l’aura tant émerveillé, vient comme pour révéler la véritable nature d’une société africaine pour qui semble sonner le glas!

Valorisation personnelle plus que de la compensation

 Rarement un artiste, une personnalité africaine, n’aura reçu tant d’hommages que Dj Arafat. Jamais, la famille d’un artiste n’aura eu tant de sollicitude que celle de Houon Didier. Tout ce que l’Afrique compte de stars et d’acteurs du Showbiz a défilé à Abidjan depuis l’annonce du décès. Chacun y allant de sa promesse et de sa donation. Mais à y voir de près, l’on pourrait dire que jamais l’on aura eu droit à une telle démonstration d’hypocrisie. Et ce ne sont pas les « chinois », ses fameux fans, qui ont dressé une liste de « traitres » en bonne et due forme qui diront le contraire. Presque tous ceux qui y allaient, chacun à sa manière, y compris sa propre mère, à sa démonstration de compassion, de douleur, et de son affection vis-à-vis d’Arafat étaient ceux avec qui il avait le plus de maille à partir de son vivant. Des gens qui la veille encore lui interdisaient l’accès dans les antennes de leurs chaines de télévision ou de radio lui ont consacré des émissions spéciales. Des communes qui ont fait obstruction à ses affichages et à l’organisation de ses tous derniers concerts lui ont dressé des posters géants. Et que dire des collègues ? Des clashes, des coups bas et des calomnies en n’en plus finir ! Mais ils étaient tous là. Tel dans un bal de sorciers. Attablés dans son salon. Rassemblés autour de sa dépouille. En fait, il s’agissait de faire bonne figure. Et plus que tout, il était question de se faire voir. Et c’est bien ça la société africaine d’aujourd’hui. Celle qui voit une morgue incroyable se développer et qui voudrait que les gens profitent des malheurs des autres pour se mettre en scène. Ainsi, voit-on dans des familles, des enfants, oncles, tantes, frères et cousins qui de votre vivant ne s’occupaient nullement de vous, pire vous vouaient aux gémonies, et étaient la source de tous vos malheurs, venir se pavaner à vos obsèques. Ne lésinant sur aucun moyen, surtout pas sur leurs belles tenues, certains allant jusqu’à prendre vos obsèques en charge. C’est désormais le règne de la valorisation personnelle au détriment de la compassion véritable.

Récupération politique de mauvais aloi

Dans cette pratique ubuesque, les politiques remportent assurément la palme d’or. Lors des obsèques de Dj Arafat, l’on a vu un pouvoir ivoirien dans une récupération des plus abjectes. L’on a vu un Hamed Bakayoko*, en faire trop. Si l’on peut lui reconnaitre une certaine proximité avec le monde artistique, cependant, il sautait aux yeux que le ministre ivoirien de la défense, que nombreux à l’occasion confondaient avec celui de la culture du fait de son hyper-activisme, exagérait sa compassion. Ne ratant pas une occasion pour s’incruster. En effet, l’enjeu pour le régime ivoirien, incarné ici par Ahmed Bakayoko, successeur putatif d’Alassane Dramane Ouattara, était de saisir cette occasion pour faire quelque peu oublier ses tourments politiques de ces derniers jours, et qui plus que jamais le met à mal. L’occasion faisant le larron, il était question de profiter du deuil de DJ Arafat pour « réunir » la population ivoirienne, à défaut de la réconciliation qu’ils n’ont pas pu bâtir en plus de 10 ans. Bien au contraire, la libération de Laurent Gbagbo et de son acolyte Blé Goudé, les dissensions avec Henri Konan Bédié* et guillaume Soro, et les atermoiements de Ouattara quant au troisième mandat sont autant de sources de tensions que le deuil d’Arafat a permis d’oublier un tant soit peu. Malheureusement, le chant du coq n’aura pas retenti trois fois qu’on est revenu à la triste réalité. Celle d’une Côte-d’Ivoire quasi ingouvernée, fortement divisée et au pouvoir étatique très faiblement légitimé. Triste la vie d’artiste ! Ceci est la preuve que les récupérations politiciennes des évènements heureux ou macabres, qui semblent être le sport favori des gouvernants africains, font de moins en moins recette. Bien au contraire, elles semblent devenir source de désarroi, de désenchantement et de honte pour les récupérateurs de mauvais aloi.

La société de désinformation

 Si les gouvernements africains peinent de plus en plus à récupérer çà et là, c’est bien à cause du déficit de crédibilité qui les frappe plus que jamais. En effet, pendant longtemps, la parole de l’Etat a été sacrée. Mais depuis le tournant des années 1990, et l’instauration de la société de l’information, grâce aux nouvelles technologies, les populations africaines n’ont eu de cesse de découvrir les petits et les gros mensonges de leurs gouvernants au quotidien. Résultat des courses, une crise de confiance substantielle et une méfiance à toutes épreuves se sont instaurées entre les parties, se transformant très généralement en défiance. Pour compenser leur déficit d’information, et surtout contrebalancer les « versions officielles », les populations se vautrent volontiers dans la rumeur. Et bienvenus les dégâts, comme ce que l’on a observée en cette matinée de l’inhumation de Dj Arafat. En effet, à la faveur de la vulgarisation de réseaux sociaux, couplée à la crise de culture généralisée (au sens de Hannah Arendt) ainsi que de faillibilité permanente de la parole gouvernementale, les sociétés africaines sont plus que jamais sujettes à toutes les formes de manipulations possibles. Et le pire n’est jamais très loin.

Le péril jeune

Et parmi les facteurs de risque majeurs, il y a bien entendu la jeunesse. En Afrique, plus qu’ailleurs, elle est largement sous-scolarisée malgré les taux officiels visant à satisfaire les partenaires au développement. Ce qui la rend largement incapable du recul nécessaire pour apprécier la véracité d’une information, et par conséquent la rend vulnérable à toutes sorte de manipulations. Cet état de choses est nettement aggravé par le nivellement par le bas du système éducatif, et qui fait que même diplômés, la très grande majorité des jeunes africains sont aujourd’hui des illettrées au sens propres du terme. Faisant souvent preuve d’une inculture impensable sur des sujets les plus basiques. Préférant se vautrer dans les diverses distractions qu’offre la mondialisation. Et parmi celles-ci, l’alcoolisme et surtout la drogue occupent une place de choix. Véritables fabriques de zombis, à l’instar de ces jeunes « microbes » qui sévissent dans les rues d’Abidjan ou encore des« nangas Boko » des artères de Douala, ces substances font plus que jamais peser sur les sociétés africaines un véritable péril jeune !

Par Moussa Njoya, Politologue (Défis Actuels 415)

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