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Dégâts environnementaux et sociaux : l’envers du décor de l’exploitation minière au Cameroun

La ruée vers les métaux précieux se paie souvent au prix fort : déforestation sauvage, terres agricoles ravagées, rivières polluées...Ce tableau révèle l'urgence d’une régulation plus stricte pour protéger les populations des risques sanitaires, sociaux et économiques de plus en plus lourds. Dossier réalisé par Fabrice BELOKO & Blaise NNANG

L’exploitation minière à Kambélé dans la région de l’Est, comme dans d’autres régions du Cameroun, soulève de sérieuses préoccupations environnementales, économiques et sociales, en grande partie exacerbées par l’informalité de l’activité minière.

Conflits sociaux, destruction des forêts, pollution des sols et de l’eau modification des paysages, pertes en vies humaines, etc. Au lieu d’apporter la richesse et le bienêtre aux populations riveraines, l’exploitation minière au Cameroun n’est pas très loin d’être considérée comme une malédiction. La localité de Kambélé, non loin de Batouri, dans le département de la Kadey, région de l’Est, est la parfaite illustration de l’envers du décor de l’exploitation minière au Cameroun. Paysage apocalyptique avec la forêt détruite, sol complètement renversé, laissant des trous béants et lacs artificiels, rivières et points d’eau à la couleur rougeâtre, pollution des sols aux produits chimiques détériorant la qualité de l’eau et la santé des populations locales, pauvreté ambiante, etc.

Voilà le visage hideux que renvoient les zones d’exploitation minière au Cameroun. Selon un recensement effectué par l’organisation Forêts et Développement Rural (FODER), entre 2015 et 2022, 205 décès ont été enregistrés dans les sites miniers des régions de l’Est et de l’Adamaoua, dont 12 cas de noyades dans des lacs artificiels. Les 193 autres décès sont généralement dus aux éboulements et glissements de terrain causés par des trous béants abandonnés.

La plupart du temps, ces trous sont abandonnés après une exploitation artisanale semi-mécanisée par des sociétés minières étrangères à l’aide de pelles excavatrices. On y retrouve des entreprises indiennes, grecques, camerounaises, et surtout chinoises dans leur majorité. En septembre 2021, cette ONG a dénombré 703 trous sur les sites miniers, dont 139 lacs artificiels sur une superficie de 93,66 hectares, et dans lesquels, ces sociétés déversent souvent des huiles usées et des hydrocarbures résultant de leurs activités, et qui participent à la dégradation de l’écosystème.

C’est sans nul doute, entre autres raisons ayant poussé le ministre en charge des Mines, Fuh Calistus Gentry à prendre un arrêté, le 13 août 2025, interdisant toute activité de recherche, d’exploitation industrielle et d’exploitation semi-mécanisée sur le site aurifère de Kambélé par Batouri. Selon cet arrêté, désormais, « seules les activités d’exploitation artisanale stricto sensu, réservées aux riverains autochtones, y sont autorisées ». Car « aucune autorisation d’exploitation artisanale semi-mécanisée n’a été délivrée pour cette zone minière située dans la Kadey ».

Mais, en autorisant seulement les activités d’exploitation minière artisanale sur le site de Kambélé, le gouvernement feint ignorer la réalité sur le terrain. Car, le plus souvent, ce sont ces riverains munis d’autorisations d’exploitation artisanale, qui ont des outils rudimentaires, et qui sous-traitent avec les étrangers, en faisant louer leurs permis. Et, du fait de la corruption ambiante et du très peu de régulation de la part des Mairies, l’encadrement de l’exploitation minière artisanale leur incombant depuis la promulgation du Code minier, les sites jadis réservés à l’exploitation artisanale, se retrouvent dans l’exploitation semi-artisanale mécanisée.

En rappel, on estime à plus de cinquante mille, le nombre de miniers artisanaux et à plus de 50 000 tonnes, la production aurifère annuelle issue de cette activité. En revanche, les opérateurs artisanaux semi-mécanisés, regroupant aussi bien des nationaux que des expatriés, sont conformes à la loi à plus de 80% et sont encadrés par le ministère en charge des Mines. L’on dénombre 90 sociétés semi-mécanisées au Cameroun.

Quand le défaut de régulation de l’Etat favorise le désordre

Des dispositions du Code minier encadrant l’exploitation minière sont foulées au pied, au vu et au su des pouvoirs publics, sans que des sanctions adéquates ou rappels à l’ordre ne soient pris.

Personne ne pourrait comprendre que les pouvoirs publics ne soient pas informés du désastre écologique et environnemental vécu par les populations riveraines, comme c’est le cas sur le site minier de Kambélé par Batouri par exemple. Mais du fait de la corruption et du népotisme, des dispositions du Code minier, sur certains aspects de l’exploitation minière, sont complètement ignorées. Dans la loi du 19 décembre 2023, portant Code minier, il est pourtant clairement stipulé en son article 136 que « la restauration, la réhabilitation et la fermeture des sites miniers et des carrières incombent à chaque opérateur ».

 Ces opérations, précise-t-on, doivent viser à rendre les sites stables, à restaurer leur productivité agro-sylvo-pastorale et à retrouver un aspect visuel proche de leur état d’origine, ou du moins propice à de nouveaux aménagements durables. L’Etat ou les opérateurs peuvent également effectuer d’autres aménagements. La bonne remise en état donne lieu à la délivrance d’un quitus qui libère l’ancien exploitant de ses obligations concernant le titre minier, l’autorisation ou le permis d’exploitation.

Cependant, l’ancien exploitant reste responsable des préjudices découverts ultérieurement liés à ses activités passées. En outre, le Code minier prévoit un fonds de restauration, de réhabilitation et de fermeture des sites miniers et des carrières, alimenté par les contributions annuelles des opérateurs miniers et de carrières. Ce fonds est destiné à financer les activités de mise en œuvre du programme de préservation et de réhabilitation de l’environnement. Les modalités de fonctionnement de ce fonds sont fixées par voie réglementaire. Et pourtant, cette disposition n’est pas respectée sur le terrain. Et, le ministère des Mines, face au danger que représente la semi-mécanisation artisanale de l’or, a entrepris de suspendre, à compter du 31 mars 2023, la délivrance des autorisations d’exploitation artisanale aux sociétés étrangères, afin qu’ils deviennent un privilège exclusif des artisans miniers, tel que prévu par les dispositions du Code minier. Ceci en vue d’une meilleure régulation de cette branche du secteur minier, majoritairement responsable des hécatombes dans l’extractivisme au Cameroun.

 C’est le cas notamment avec l’interdiction de l’exploitation sémio-mécanisée sur le site de Kambélé. Le site d’exploitation d’or de Kambélé, a été classé en zone de protection et d’exclusion d’activités minières industrielles, semi-mécanisées et de recherche. Et désormais, « seules les activités d’exploitation artisanale stricto sensu, réservées aux riverains autochtones, y sont autorisées ». Mais, une décision qui ne fait pas l’unanimité. Et même, elle attise déjà des conflits entre autochtones et allogènes.

Des poursuites judiciaires sont d’ailleurs en vue, avec la société Jam’s Avenir qui, apprend-on, affirme détenir depuis août 2024, le seul permis de recherche actif sur le site. La société indique avoir investi plusieurs centaines de millions de FCFA dans des études préalables à un projet de convention en attente de signature. Selon Jam’s Avenir, cette décision compromet ses activités. L’entreprise envisage de poursuivre l’État du Cameroun pour obtenir réparation.

En rappel, au Cameroun, le secteur minier reste largement dominé par les exploitations artisanales et à petite échelle. Selon le Code minier, cette catégorie englobe l’orpaillage au sens strict, ainsi que l’exploitation artisanale semi-mécanisée. L’or demeure la ressource la plus convoitée, loin devant les autres substances extraites, parmi lesquelles figurent quelques gisements de pierres précieuses, semi-précieuses et ornementales.

Les riverains restent pauvres malgré la richesse du sous-sol

Dans l’imaginaire collectif, l’or et les diamants sont synonymes de richesse. Pourtant, dans les zones minières de l’Est du Cameroun, ces pierres précieuses entretiennent surtout la misère. À Kambélé, petit village aurifère, les familles vivent au rythme des pelles et des battées, convaincues qu’un jour la chance tournera. Mais derrière l’éclat des minerais, se cache une réalité plus sombre celle d’une pauvreté chronique qui se transmet de génération en génération.

Face à l’attrait des minerais, de nombreux parents abandonnent leurs champs, tandis que les enfants désertent les bancs de l’école pour travailler dans les mines. Selon une étude conduite par le Dr Marc Anselme Kamga, chercheur à l’Institut panafricain des sciences de la vie et de la terre, près de 75 % des élèves des villages miniers quittent l’école pour se consacrer à l’orpaillage. Cette déscolarisation massive hypothèque l’avenir de toute une génération, piégée dans un cycle de pauvreté où l’effort physique remplace la formation intellectuelle. « Ici, l’école ne nourrit pas, mais peut-être qu’un gramme d’or trouvé aujourd’hui changera ma vie », confie un adolescent mineur de Kambélé. Mais la réalité est toute autre. Les gains tirés de l’or ou du diamant sont rarement suffisants pour améliorer les conditions de vie des familles.

UNE ÉCONOMIE DE SURVIE DOMINÉE PAR LES INTERMÉDIAIRES

Dans ces zones, la pauvreté s’aggrave à cause d’un système de dépendance. Les mineurs artisanaux travaillent souvent sous la coupe d’intermédiaires qui avancent nourriture ou argent. En retour, ils récupèrent les minerais découverts à un prix dérisoire, loin de leur valeur marchande réelle. La conséquence directe : les familles vivant autour des sites miniers restent confinées dans une économie de subsistance, incapables de constituer une épargne ou d’investir durablement dans l’éducation et la santé. Ce mécanisme entretient une pauvreté structurelle. Les mineurs, contraints de travailler pour rembourser leurs dettes, s’enferment dans une spirale où la quête du gain immédiat ne mène jamais à l’amélioration du niveau de vie.

PAUVRETÉ ET VULNÉRABILITÉS SOCIALES

La misère des zones minières se traduit aussi par une forte précarité sociale. L’étude du Dr Kamga récemment menée révèle une hausse inquiétante de la prostitution, souvent associée à une exploitation accrue des femmes. La prévalence du VIH est particulièrement élevée autour des sites miniers, où les conditions de vie insalubres et la promiscuité favorisent la propagation des maladies. À cela s’ajoute l’insécurité alimentaire. Les terres agricoles, abandonnées ou détruites par l’extension des sites miniers, ne produisent plus assez pour nourrir les familles. « 2 025,6 hectares de terres agricoles ont été convertis en sites miniers, représentant 44 % de la superficie totale occupée par l’exploitation minière. Cette conversion a entraîné une diminution des terres arables, contribuant à la hausse des prix des denrées alimentaires et à l’insécurité alimentaire dans la région de l’Est », rapporte l’ONG, Forêts et développement rural (Foder) en mai 2025. Les revenus tirés de l’orpaillage ne suffisent pas à compenser cette perte, aggravant la faim dans des villages pourtant assis sur un sous-sol riche.

LE PARADOXE D’UN PAYS RICHE EN RESSOURCES MAIS PAUVRE EN RETOMBÉES

Le Cameroun détient un potentiel minier considérable : or, bauxite, cobalt, fer. Pourtant, selon l’African Minerals Development Centre (AMDC), le secteur contribue à seulement 0,63 % du PIB et représente 5 % des exportations nationales. Dans un pays qui mise sur le triptyque mine-métallurgie-sidérurgie pour soutenir son industrialisation (SND30), le contraste est frappant. En réalité, 95 % de la production aurifère nationale provient de l’exploitation artisanale, largement informelle et échappant au contrôle fiscal.

Malgré la multiplication des permis miniers (122 industriels et plus de 1 000 artisanaux), l’État ne capte qu’une infime partie des revenus, soit moins de 0,2 % du budget national. Les retombées économiques locales sont donc quasi inexistantes, tandis que les populations minières, premières exposées aux risques, demeurent les grandes oubliées du partage de la rente.

DES VILLAGES ABANDONNÉS À LEUR SORT

Autre problème majeur est l’absence de réhabilitation des sites après exploitation. Les entreprises quittent les zones sans combler les trous béants, laissant derrière elles des paysages dévastés et dangereux. Les autorités locales alertent également sur la déforestation, l’ensablement des rivières et la destruction des terres arables.

Dans certaines zones, les métaux lourds comme le plomb, le cadmium ou l’arsenic contaminent l’eau et les sols, exposant les populations à de graves risques sanitaires. Ces impacts aggravent encore la pauvreté, car ils privent les habitants de leurs moyens traditionnels de subsistance tels que l’agriculture, la pêche, la chasse et l’élevage.

L’exploitation minière grignote forêts et terres agricoles

Une étude récente sur la cartographie des sites miniers et leurs impacts environnementaux met en lumière l’ampleur des dégâts liés à l’exploitation minière au Cameroun, en particulier dans la région de l’Est. Entre 2010 et 2024, la superficie occupée par les activités minières est passée de 82,48 hectares à 4 639,69 hectares, soit une progression fulgurante de 5 490 %.

L’arrondissement de Batouri concentre l’essentiel de cette expansion, avec une superficie exploitée multipliée par plus de quarante, atteignant 3 247 hectares en 2024. À Kétté, l’évolution est tout aussi spectaculaire avec plus de 4 hectares en 2010, les sites miniers occupent désormais 1 327 hectares.

Cette croissance anarchique s’accompagne d’une destruction massive du couvert végétal, près de 2 614 hectares de forêts ont été rasés dans les trois arrondissements étudiés (Batouri, Kétté et Kentzou). Cette perte fragilise la biodiversité, accentue l’érosion des sols et dérègle les écosystèmes locaux. Plus préoccupant encore, l’étude révèle que 2 025 hectares de terres agricoles, soit 44 % des zones minières actuelles, ont été convertis en carrières. Ce qui a entraîné une baisse drastique des surfaces cultivables, entraînant une pression sur la sécurité alimentaire et une hausse du prix des denrées dans la région.

Les projections sont tout aussi inquiétantes. Si aucune mesure de régulation n’est prise, la superficie exploitée pourrait atteindre 7 500 hectares à Batouri et 3 000 hectares à Kétté d’ici 2040. Les conséquences environnementales vont bien au-delà de la déforestation. La pollution des cours d’eau par le mercure et les huiles usagées met en danger la faune aquatique et la santé des populations.

 Sur le terrain, les habitants vivent aussi avec des trous béants non réhabilités, véritables pièges mortels causant noyades, éboulements ou glissements de terrain. Les artisans miniers, eux, restent exposés à des substances toxiques comme le cyanure et le mercure, sources d’intoxications graves, de maladies respiratoires ou de brûlures.

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