Crédits et microcrédits : les défis de la finance durable.

Au Cameroun, peu de femmes ont accès au crédit et seulement 3 % du secteur agricole en bénéficie, alors qu’il est l’un des secteurs qui permet de faire reculer la pauvreté.

La finance durable fait encore face à de nombreux défis au Cameroun. Cette branche de la finance qui prend en compte les aspects sociaux environnementaux pour une économie plus durable doit être renforcée. Tandis que certains experts proposent une stratégie nationale sur la finance durable, d’autres insistent simplement sur l’élaboration des produits financiers proposés. Pour cette seconde tendance, il faudra en réalité adapter les offres financières aux secteurs comme celui de l’agriculture. Le secteur contribue en effet à plus de 30% du PIB national et emploie près de la moitié de la population active, dont la majorité des femmes. Or, selon les chiffres du projet Fofinaac porté par la coopération allemande, le finance ment agricole au Cameroun représente seulement 3 ,3% de l’encours du crédit des banques et institutions de microfinance. Bien plus, une étude réalisée l’année dernière par les chercheurs du Nkafu Policy Institute, indique que les femmes ont moins accès au crédit que les hommes. Ce qui a des conséquences négatives sur la croissance économique et la société. « Les femmes sont plus exposées à la prise de décision arbitraire dans les banques commerciales, aux facteurs socioculturels et aux exigences administratives qui ne reflètent pas leurs réalités » ; note l’étude. Et alors que le FIDA sou ligne que la femme est l’un des maillons essentiels de lutte contre la pauvreté.

Pour les chercheurs à l’origine de cette étude, la banque centrale doit revoir ses outils – taux directeurs, injections de liquidités et achat de obligations d’État etc pour garantir aux femmes l’accès au financement. Mais pour David Kengne qui s’occupe de la formation des entreprises depuis plus de 20 ans, il faut surtout définir des produits financiers adaptés au secteur agricole. « On se rend également compte que certaines institutions financières veulent accompagner le secteur agricole mais n’ont pas assez de connaissances. Ils n’ont pas d’outils adaptés. Voyez-vous un EMF qui accorde un crédit à un producteur de cacao et lui demande de rembourser par mois. Ce qui est impossible par ce qu’évidemment le cacao ne peut produire au bout d’un mois. Il faut développer des produits financiers adaptés aux zones rurales et spécifiquement aux entreprises et promo teurs agricoles et agro pastoraux », dit-il.

Il faut aussi reconnaitre qu’en termes d’offres peu d’établissements financiers proposent des produits spécifiques pour les femmes entrepreneures ou actrices du monde rural. Ecobank a à ce titre lancé l’année dernière un programme de mentorat et d’accompagnement des entreprises dirigées par les femmes ou orientées vers les femmes. Mais, le défi demeure. En dehors des banques et micro finance, les investisseurs sont aussi encouragés à être socialement responsables. « Normalement lorsqu’on demande à investisseur d’agir en respectant les normes environnementales, c’est de pouvoir faire des choix. De se dire, je ne vais pas financer telle activité par ce qu’elle détruit l’environnement. Je ne mets pas mon argent dans tel investissement par ce que la personne qui fait cette activité est entrain soit de détruire éco système, soit de faire quelque chose qui n’est pas convenable. Donc on interpelle la vigilance des investisseurs », explique Serge Yanic Nana, expert fi nancier. Les investissements verts restent donc eux aussi un défi.

Henri Kouam, expert en politiques publiques

« La banque centrale doit faciliter l’accès au crédit pour les femmes »

Auteur de diverses études sur le financement durable en Afrique et au Cameroun,  l’expert jette un regard sur la place de cette notion dans les politiques publiques au Cameroun, et fait des propositions.

Quels sont les critères sur lesquels repose l’évaluation de la part du financement durable dans une économie ?

La finance durable consiste à prendre des décisions d’investissement qui tiennent compte non seulement des rendements financiers, mais aussi des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Souvent utilisé de manière interchangeable avec la « finance verte », il s’agit d’un terme large aux définitions multiples selon le contexte. La finance durable fait référence au processus de prise en compte des considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Ces critères sont utilisés pour évaluer l’efficacité du financement durable.

Pour le cas du Cameroun, quelle est globalement selon vous la part ou la place du financement en faveur du développement durable ? Et quels sont aujourd’hui ses défis ?

La dette publique du Cameroun est estimée à 44 % du PIB et plutôt que de s’éloigner des combustibles fossiles, la loi de finances 2022 prévoit des mesures qui seront prises pour que les recettes non pétrolières contribuent à hauteur de 0,8 % supplémentaire au PIB. La finance durable a sa place au Cameroun, notamment parce qu’il existe un déficit d’infrastructures et que plus de 200 000 de ses citoyens sont exposés au changement climatique. Le principal défi est la lourdeur des procédures administratives, le manque de numérisation et de garanties, la hausse des taux d’intérêt dans les économies avancées et la crise anglophone qui a fait fuir les investisseurs.

Auteur de diverses études sur les économies de la sous-région, vous pensez que la banque centrale doit revoir sa politique monétaire pour un meilleur accès des femmes au crédit. De quelle manière et quel serait l’impact d’une telle mesure ?

La banque centrale a pour mandat d’assurer la stabilité de la monnaie et du système financier. Le développement durable et la croissance économique entrent bien dans les attributions de la banque centrale. Un levier important pour la réussite du développement est l’accès au crédit pour les femmes. Les lois archaïques, les discriminations institutionnelles et le manque d’outils et de mécanismes de contrôle ont accru la discrimination à l’égard des femmes. La banque centrale pourrait faire dépendre les financements bon marché du nombre de prêts que les banques accordent aux femmes. Cela permettrait aux femmes entrepreneurs et aux entreprises détenues ou dirigées par des femmes de bénéficier d’un coup de pouce supplémentaire. Il convient de rappeler que plus de 50 % des entreprises du secteur informel sont détenues par des femmes. Ainsi, la banque centrale peut stimuler l’économie, tout en s’attaquant aux inégalités. Il s’agit bien sûr d’une nouveauté, mais les banques centrales de Suède, d’Europe, du Bangladesh et d’Inde ont toutes des missions sociales liées à leur mandat. Cela permet de garantir que la société fonctionne de manière juste et équitable dans le temps et que les ressources des banques sont utilisées pour financer le développement durable.

Y a-t-il d’autres leviers qu’il faudrait activer pour un meilleur financement au service du développement durable au Cameroun ?

Des reformes structurelles (liée au travail de marché, la formation et l’éducation) doivent accompagner des reformes financières. D’abord, le gouvernement doit encourager les locaux à investir dans des projets. La Banque de Développement de L’Afrique Centrale a fait appeler aux investisseurs locaux avec des parts d’un minimum de 38, 500 FCFA. Le gouvernement devrait puiser la richesse des locaux pour faciliter la transition envers une économie verte. Le gouvernement va prêter chez nos partenaires. Mais nous devons être claire que tout projet d’infrastructure liée au changement climatique devrait créer un minimum de 1000 emplois et nous devrons nous assurer qu’il y’a des transferts techniques.

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