L’interruption totale du trafic sur l’axe Ngaoundéré–Meiganga, déclenchée le 4 décembre 2025 à la suite d’une altercation entre un élément de la gendarmerie et un chauffeur de camion, a provoqué une paralysie brutale d’un corridor vital pour l’économie camerounaise. L’incident initial – une gifle et un coup de poing infligés lors d’un contrôle routier à l’entrée de Meiganga – a immédiatement suscité la colère des transporteurs. Ce point de contrôle, déjà connu pour des pratiques de prélèvements illégaux, a servi d’amorce à une mobilisation d’une ampleur rarement observée.
La réaction a été immédiate. Les camionneurs ont aligné leurs véhicules sur plusieurs kilomètres et bloqué la Nationale 1, un axe qui constitue la principale voie d’acheminement des marchandises vers l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord. Selon plusieurs médias, plus de 11 000 véhicules et bus seraient immobilisés entre Meiganga et Garoua-Boulaï, un chiffre non officiel mais confirmé par divers témoignages. La congestion a touché l’ensemble de la chaîne logistique, créant un effet domino sur le transport des denrées périssables, les circuits pharmaceutiques et les flux de transit vers le Tchad et la Centrafrique.
Le blocage a rapidement pris une tournure collective. Des bus de transport en commun et des riverains excédés par les abus routiers se sont joints au mouvement. À Lokoti, des jeunes ont érigé un blocus total, immobilisant camions frigorifiques, véhicules de tourisme et convois transportant des médicaments destinés aux hôpitaux de Ngaoundéré. Les transporteurs, invoquant une accumulation d’extorsions, de violences et d’abus, ont refusé toute reprise d’activité sans une intervention directe du ministre des Transports. Les autorités locales ont tenté une médiation.
Le Lamido de Meiganga, également sénateur, a appelé à la retenue, sans parvenir à obtenir la levée du blocus. Le préfet du Mbéré puis le gouverneur de l’Adamaoua, Kildadi Taguiéké Boukar, se sont relayés pour stabiliser la situation. Les responsables syndicaux régionaux du Syndicat national des chauffeurs routiers du Cameroun (SNCRC) ont exprimé leur soutien aux revendications tout en appelant à éviter les débordements. En parallèle, un autre courant syndical s’est désolidarisé du mouvement, dénonçant ce qu’il qualifie de méthode de blocage incompatible avec la « stabilité » et le « respect des institutions ».
La paralysie logistique s’est doublée d’un volet humanitaire. À Meiganga, le maire Aboubakar Kombo a mobilisé les services municipaux pour distribuer plus de mille kits alimentaires à des voyageurs immobilisés depuis trois jours. La Croix-Rouge locale a été déployée afin d’identifier les besoins sanitaires urgents et assurer les premiers secours. Des habitants du quartier Nandéké ont également apporté vivres et couvertures aux voyageurs coincés sur la chaussée.
Les effets économiques se sont imposés dès les premières heures. La rupture d’approvisionnement de l’Adamaoua et la stagnation des flux vers les régions septentrionales ont révélé la dépendance structurelle du Cameroun à ce corridor unique. La vulnérabilité de cette route – accentuée par les pratiques de tracasseries routières – renforce le risque systémique pour l’économie nationale. Sur le corridor Douala-N’Djamena, un rapport du ministère de la Défense publié en 2022 recensait 66 postes de contrôle, dont 39 jugés irréguliers. Les organisations professionnelles estiment qu’un camion perd en moyenne 140 000 FCFA par voyage du fait de ces pratiques, soit plus de 2 milliards de FCFA par mois versés en dehors des circuits officiels.
En parallèle, des centaines de passagers, dont une délégation de l’Université de Maroua en route pour Yaoundé, ont été immobilisés dès la matinée du 4 décembre à la sortie de Meiganga. Selon les autorités locales, aucun incident n’a été signalé au sein du groupe, mais les déplacements restent impossibles tant que la route demeure bloquée. Après quatre jours de paralysie, la contestation s’est élargie. Certains manifestants exigent désormais la libération de personnes arrêtées dans le cadre de cette crise qui paralyse la circulation. Les tentatives répétées des forces de maintien de l’ordre n’ont permis aucune reprise du trafic. L’absence de « feu vert » souligne la profondeur du blocage et l’accumulation d’enjeux qui dépassent largement l’incident initial.
Cette crise met en lumière les fragilités d’un modèle d’approvisionnement reposant sur un corridor saturé, vulnérable aux abus et dépourvu d’alternatives opérationnelles. L’axe Ngaoundéré–Meiganga, devenu le théâtre d’une immobilisation sans précédent, rappelle que la corruption routière n’est pas uniquement un problème de gouvernance : elle constitue un coût macroéconomique majeur pour le pays.







