Arnaud Froger : « la situation des médias au Cameroun demeure très préoccupante »

Le directeur Afrique de Reporters Sans Frontières revient sur le classement 2022, de la liberté de la presse, que vient de publier son organisation.

Directeur Afrique RSF

Votre organisation a rendu public le classement mondial de la liberté de la presse 2022. Quelle est la particularité de ce rapport ?

Ce rapport démontre que le chaos informationnel dans lequel nous vivons depuis plusieurs années participe largement à alimenter les tensions et les conflits. En interne, il existe une énorme polarisation du débat public, beaucoup de désinformation et des guerres d’opinion ou une Foxnewsisation de l’information… Sur le plan international les situations sont également très polarisées mais aussi asymétrique entre des régimes despotiques qui réduisent à néant ou presque la liberté d’informer dans leur pays et exportent presque sans entrave leur propagande et leur contre modèle de l’information et les états démocratiques qui sont affaiblis par cette situation. La guerre menée par la Russie en Ukraine illustre parfaitement cette situation. En Russie la population vit sous cloche, exposée à la propagande du régime avec des médias indépendants interdits et des réseaux sociaux fermés tandis que le reste de l’Europe a été affaiblie par la désinformation du Kremlin qui a été utilisée pour tenter justifier cette guerre. Cette situation nous montre qu’il est absolument essentiel de défendre le journalisme de qualité et un débat public ouvert et respectueux des faits pour que les guerres des opinions ou de propagande ne puissent pas servir de terreau pour justifier ou alimenter des guerres bien réelles.

 La plupart des pays d’Afrique occupent le bas du classement depuis des années et la situation ne semble pas s’améliorer. Qu’est ce qui explique cela.

La situation est très contrastée sur le continent Africain et il convient de regarder la situation de près pour ne pas en tirer des conclusions trop hâtives. S’il n’existe à ce jour pas de pays dans lesquels la situation est évaluée comme « bonne », il existe plusieurs pays dans lesquels l’exercice du journalisme bénéficie toute de même de sérieuses garanties et où les entraves sont plutôt rares. Deux pays africains, les Seychelles et la Namibie intègrent d’ailleurs le Top 20 cette année. C’est une première. A l’autre bout du classement, dans le groupe de 28 pays dans lesquels la situation est jugée comme très grave, il n’y a que deux pays africains : Djibouti et l’Erythrée. Il n’y a aucune liberté de la presse et aucun média indépendant dans ces pays. Les journalistes, les seuls dignes de ce nom, sont en prison ou en exil. Entre les deux, de nombreux pays africains sont encore confrontés à une myriade de problèmes : journalistes arbitrairement agressés, arrêtés voire tués, lois criminalisant la diffusion d’information sur certains sujets, désinformation galopante sur les réseaux sociaux quand les médias traditionnels luttent pour leur survie et peinent à être visibles, médias d’État encore inféodés aux autorités et peu respectueux de la pluralité des opinions… La situation n’est pas pire en Afrique qu’au Moyen-Orient ou en Asie, elle est même plutôt meilleure, mais les progrès sont timides et fragiles tandis que les retours en arrière sont parfois très brutaux à l’image de ce qui a pu se passer au ces derniers temps au Mali, au Bénin ou encore en Ethiopie.

Le Cameroun en particulier occupe une place peu enviable. Pourquoi ce rang défavorable à l’endroit du Cameroun ?

La situation du Cameroun demeure très préoccupante en effet. La progression de 17 places dans cette édition est uniquement liée au changement de méthodologie du classement qui accorde moins d’importance aux exactions qu’au court des années précédentes par rapport aux autres atteintes politiques, économiques, légales ou sociales… Les journalistes et médias camerounais qui comme le vôtre et d’autres tentent courageusement de produire des informations de qualité et parfois sensibles à l’égard des autorités font face à de nombreuses attaques et représailles. Des pressions qui peuvent s’exercer au grand jour, comme le passage à tabac de Paul Chouta, l’arrestation et la détention arbitraire de journalistes ou la suspension de chaînes ou de programmes comme c’est arrivé récemment à Équinoxe ou de manière plus insidieuse en faisant en sorte que les médias ne disposent plus de ressources financières pour survivre ou en tenant de retourner et de corrompre les plumes les plus critiques. Risquer sa liberté voire sa vie, c’est souvent le prix à payer pour faire du journalisme en toute indépendance au Cameroun. Ceux qui le font rendent un service immense et inestimable à leurs concitoyens.

Il n’y a pas longtemps, on a observé une quasi levée de boucliers  du Conseil national de la communication et du ministère de l’administration territoire, contre un média qui a été accusé de relayer des informations provenant des ONG elles-mêmes accusées de faire l’apologie de la sécession. Cet acharnement est-il justifiable selon vous?

Toute tentative d’interdire à un média de produire des informations qui seraient fausses parce que non officielles relève d’une atteinte à leur indépendance. La vérité des faits, c’est aux journalistes de l’établir en leur âme et conscience et avec éthique et professionnalisme. Il serait très dangereux qu’un organe de régulation et a fortiori un ministère détermine ce qui est vrai ou non et quelles sources sont crédibles ou non. On imagine très facilement quel glissement peut s’opérer en matière de contrôle de et de censure des informations qui le gouvernement trouverait gênantes. Les médias et ONG qui produisent des informations selon des méthodes de collecte honnêtes et exigeantes ne sont pas des ennemis du Cameroun. Ce sont ceux qui cherchent à les dis…

Vous n’avez eu de cesse de demander la libération d’Amadou Vamoulke, sauf que Yaoundé est sourd face à ces demandes, envisagez-vous d’autres actions pour contraindre le régime de Paul Biya à mettre fin à cette détention, jugée d’arbitraire selon vous?

La situation d’Amadou Vamoulké est dramatique. Voilà bientôt 6 ans que ce journaliste est détenu sans avoir été jugé après plus de cents audiences. Son dossier est complètement vide et son procès est une honte. Toutes celles et ceux qui se sont intéressés à cette affaire de près ont pu le constater, y compris le groupe de travail des nations unies sur la détention arbitraire. Le tribunal poursuit les audiences au mépris total du code pénal et la loi qui fixe le cadre de ses propres activités et qui prévoit des limites inférieures à deux ans pour juger un prévenu. Il n’y a rien à attendre d’une justice qui ne respecte pas ses propres textes. Seule une décision du président peut mettre fin à ce procès de la honte. Nous continuons à nous mobiliser dans ce sens. Il serait déplorable que la mort en prison de l’un des journalistes les plus renommés du Cameroun soit le dernier événement marquant de l’ère Biya.

Interview réalisée par Joseph Essama

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