Aristide Mono : « L’opposition est en pleine renaissance »

"la foule des meetings n'est pas l'électorat"

 

Le chercheur à l’université de Yaoundé II-Soa présente les leçons de l’élection présidentielle ainsi que la gestion des recours par le Conseil constitutionnel.

Quelles leçons peut-on tirer de l’élection présidentielle ?

 Ce que nous pouvons retenir du processus électoral qui s’achève, c’est d’abord la désacralisation de l’activité politique restée mystifiée pendant plusieurs décennies. L’irruption et l’investissement de quelques leaders incognitos ont stimulé l’engagement des masses même si cela s’est observé à des proportions peu considérables. On peut néanmoins saluer le pas qui a été fait. Les barricades morales érigées, qui constituaient jusqu’ici de véritables obstacles ou freins à l’engagement ont été déconstruites. Ensuite nous pouvons relever le fort taux d’abstention dans les zones anglophones qui laisse entrevoir deux probabilités notamment l’abstentionnisme actif c’est-à-dire le refus de prendre part au jeu à l’effet de le sanctionner et l’incapacité de l’Etat à garantir la sécurité des potentiels votants. Mais la première hypothèse me semble plus plausible et cela aura naturellement un impact sur la légitimité du président élu. Il faut par ailleurs noter la stratégie déficitaire de l’opposition qui a beaucoup tergiversé dans ses dynamiques d’alliance et de coalition, celle finalement obtenue a été très tardive et s’est avérée par conséquent inopérante. A coté, on peut relever la prolifération des Fake News ou alors des intox pour utiliser la terminologie française. Les intox se sont imposées comme des outils politiques pour donner un coup à un adversaire ou glaner la sympathie de l’électorat. On retient également le préjudice de la non inscription sur des listes électorales. Je pense que plusieurs non inscrits ont été surpris par la densité du jeu, malheureusement ils ne pouvaient se limiter qu’à la simple présence dans des sites de campagne, ne pouvant traduire leur soutien en vote. Ce qui explique ce contraste entre les grandes mobilisations observées et le score des urnes de l’opposition. Autre chose à retenir, c’est l’amplification de la tribalisation ou l’ethnicisation du champ politique camerounais. Les replis identitaires se sont affirmés davantage comme des ressources de conquête du pouvoir avec des dérives à haut risque sur les réseaux sociaux. La dernière leçon est la grosse négligence de l’opposition qui a tardivement conscience de l’impact du mauvais paramétrage du jeu, notamment la fiabilité douteuse d’Elecam, du Conseil constitutionnel, des hommes à la tête de ces institutions, du rôle de l’autorité administrative et du code électoral. Je pense que la pression pour un assainissement du jeu devait être menée des mois avant la tenue du scrutin et constituer le combat central des opposants.

Comparativement aux précédentes présidentielles, avez-vous le sentiment que le jeu démocratique a évolué ?

Contrairement à 2011, le marché électoral s’est doté d’un nouveau leadership politique jouissant d’une présomption de crédibilité poussée et d’un capital sympathique considérable. L’arrivée de Kamto, Akere Muna et Cabral Libii a irrigué l’opposition classique de nouvelles ressources moins entachées et exténuées comme Fru Ndi et Garga Haman. La deuxième innovation est l’effervescence autour des campagnes électorales, les nouveaux leaders ont fait reculer la désaffection politique. Des mobilisations étaient plus satisfaisantes qu’en 2011. Le troisième élément à considérer est l’accent mis sur le marketing politique avec l’intrusion des moyens modernes : l’investissement dans le branding et la capitalisation des nouvelles technologies d’information et de communication. Les réseaux sociaux par exemple ont été plus courtisés par des unités de campagne que les médias classiques. Il y a eu une véritable invasion des réseaux sociaux avec des impacts positifs considérables même si on peut regretter des dérives de certains internautes. Nous n’allons pas oublier le fundraising utilisé par plusieurs candidats. La portée de cette initiative a été double. D’abord la mobilisation rapide des fonds et ensuite l’implication des masses dans l’entretien des candidatures. On note aussi l’évolution des contenues des discours politiques. Il a été moins question des invectives routinières du « Biya Must Go ». Les programmes et projets de société ont été plus préférés en termes d’offres politiques.

Quel regard portez-vous sur la gestion du contentieux postélectoral par le Conseil constitutionnel ? Le contentieux électoral dans la forme a été très intéressant avec une mise en scène des acteurs digne d’une démocratie avancée. Les multiples interventions des hommes en noir ont permis de découvrir la liberté de ton, la liberté d’expression et le talent de ces avocats. Cependant, dans le fond, il y a une grosse déception. D’abord la transformation du contentieux en conférence nationale souveraine. Nous avons pratiquement vécu le procès des 36 ans de pouvoir du régime actuel avec d’un côté l’opposition qui relevait ses incapacités et de l’autre le Rdpc, Elecam, l’Etat et le Conseil constitutionnel qui défendaient ledit régime. Au-delà de cette illusion, nous avons relevé les insuffisances du droit électoral camerounais qui héberge plusieurs zones d’ombre, de silence et de flous juridiques qui ont été défavorables aux plaignants. Et c’est justement à ce niveau que l’impartialité du Conseil constitutionnel a été mise à rude épreuve. Les décisions des juges ont pris un véritable coup. Ces soupçons de partialité ont été renforcés par les biographies idéologiques des juges dont la plupart sont des anciens apparatchiks du parti au pouvoir. Aucun juge du Conseil constitutionnel n’étant ancien sociétaire d’un parti d’opposition, les soupçons de connivence avec l’ordre dirigeant semblaient justifiés.

Quel crédit accordez-vous à ses décisions ?

Au regard de ce qui vient d’être relevé sur la présomption de partialité flagrante des juges et les insuffisances du droit électoral, les conclusions du Conseil constitutionnel ne peuvent pas être exempte de toute querelle ou discussion. Pour toutes les parties ayant introduit un recours, il est clair que cette institution n’a pas joué un franc jeu. Les déclarations faites par des leaders de certaines formations partisanes en sont des illustrations.

Ne s’achemine t-on pas vers une réélection de Paul Biya ?

 Je pense que les recours de l’opposition n’ayant pas connu un aboutissement heureux, les résultats de la Commission nationale de recensement général des votes, qui donnent le candidat du Rdpc vainqueur, seront naturellement confirmés par le Conseil constitutionnel. Biya sera réélu.

Quel est le poids de l’opposition au terme de cette élection présidentielle ?

L’opposition s’est repositionnée comme alternative sérieuse même si les chiffres avancés par Elecam ne sont pas loin de ceux de 2011. Les mobilisations observées avec des modiques moyens montrent que cette opposition est en pleine renaissance, les Camerounais lui font à nouveau confiance. Le recours au G-20, le resserrement de la majorité présidentielle et le déploiement du parti au pouvoir pour museler irrégulièrement l’opposition prouvent que cette dernière fait à nouveau perdre au Rdpc sa quiétude d’après 1997. L’opposition, au-delà du score qui sera dit, est en pleine émergence. Si la dynamique observée durant cette présidentielle est sagement entretenue jusqu’aux législatives et municipales, il y aura naturellement une véritable érosion de l’hégémonie locale du parti au pouvoir. Les leaders comme Cabral sont entrain d’exhumer la passion chez les jeunes, Kamto de son coté ressuscite l’espoir d’une alternance, je pense tout simplement que demain ne sera plus comme avant.

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