Aristide Mono : « Kamto paie la note la plus lourde du vote tribal »

Le politologue analyse l’échec du candidat du MRC, Maurice Kamto, à l’élection présidentielle.

"la foule des meetings n'est pas l'électorat"

 

Maurice Kamto avait-il réellement une chance d’être élu président de la République devant Paul Biya ?

A priori la question semble embarrassante lorsqu’on sait que tous les protagonistes à une compétition s’affilient au tournoi parce qu’ils estiment avoir la chance de le remporter. Alors penser qu’un candidat est loin de cet état d’esprit, c’est convoquer la nature aventurière de sa démarche. Il serait donc moins galant d’affirmer que le candidat du MRC n’avait aucune chance de gagner. Cependant au-delà du principe, il y a une lecture réaliste assise sur une concrétude empirique qui s’impose à tout analyste sérieux. C’est pourquoi à partir d’une observation rigoureuse et décomplexée, nous pouvons dire de façon péremptoire que le Professeur candidat n’avait aucune chance de venir à bout du Président candidat. Plusieurs facteurs à la fois endogènes et exogènes à l’entreprise partisane ayant porté « l’offre Kamto » sont à même de soutenir une telle affirmation. Commençons par des déterminants internes aux Mrc. Je pense que malgré les efforts consentis et sa montée fulgurante, le parti n’a pas franchi le seuil d’une occupation territoriale capable de concurrencer celle du Rdpc qui continue de bénéficier des structures héritées de l’UNC, parti unique de l’époque monolithique. En outre, nous savons que lorsqu’on se réfère à l’assise territoriale, on parle de fait de la ressource militante disséminée dans tous les coins du pays. Si on interroge les effectifs du MRC, on se rend compte qu’il est tenu par une poignée d’élites et militants qui ne peuvent pas assurée à eux seuls l’implantation conséquente du parti et encore moins le financement des unités locales qui peuvent découler d’une telle implantation.  Pour ce qui est des éléments exogènes, ils sont de deux ordres : d’abord ceux liés au paramétrage du jeu, ici on peut relever entre autres le droit électoral qui ma foi ne garantie pas suffisamment un jeu équitable,  les modalités de financement des campagnes, l’accès déséquilibré aux médias d’Etat pendant l’intersaison et la campagne électorale, les règles qui encadrent le fonctionnement des institutions au cœurs du processus électoral à savoir Elecam et le conseil constitutionnel, des règles qui encadrent le casting des homme-arbitres qui gèrent ces institutions sont autant d’éléments qui donnent toute l’opposition perdante. Ensuite, nous avons la capacité d’action costaude du Rdpc, c’est une véritable machine politique qui s’appui sur une galaxie  d’élites se recrutant dans tout l’appareil politico-administratif de l’Etat, tous les apparatchiks politiques, économiques et administratifs sont presque tous sociétaires du parti au pouvoir, n’oublions pas aussi le poids financier de cette entreprise partisane. En plus, ce parti a présenté un candidat qui n’était pas du calibre de Kamto, un candidat qui totalise 56 ans de haute administration dont 13 au rang de ministre, 07 à la tête de la primature et  36  à la tête de l’Etat,  un candidat crédité d’une bonne côte de popularité, crédité également d’une bonne expérience en matière de compétition électorale. Bref, tous les indicateurs donnaient le Rdpc vainqueur, le MRC était prédisposé à la défaite, pour faire simple, Kamto ne pouvait pas battre Biya.

Quelles auront été ses plus grandes erreurs ? Et en quoi cela a pu avoir un impact négatif sur ses chances de victoire ?

 

La plus grosse erreur du candidat Kamto a été de participer à un match perdu d’avance et surtout de surestimer sa taille face à un concurrent qui n’était pas à sa portée. Et cette double erreur n’est que la conséquence des négligences depuis 2013. Les élections se gagnent des années avant la tenue du scrutin. Après les législatives et les municipales de 2013, Kamto et son parti, ayant tiré les limites du processus électoral camerounais, devaient s’activer dans son assainissement avec par exemple un combat politique de fond pour une refonte du code électoral afin de le débarrasser des zones confuses, une refonte du mandat des juges constitutionnels pour leur donner assez de souveraineté dans leur action, une révision de la question du financement de la campagne des partis.  Je pense que pour un acteur sérieux, résolument engagé à gagner une élection, penser vaincre le Rdpc sans l’obtention de ces préalables c’est faire preuve de naïveté ou de mauvaise foi. A cette négligence, il faut ajouter la croyance par Kamto à sa puissance électorale qui n’était que de façade. Il a confondu les foules des meetings à l’électorat. Dans le contexte camerounais, totaliser un nombre important de personnes à chacune de vos sorties publiques est loin d’être la manifestation de votre adoubement par la masse électorale. La foule peut être constituée des non inscrits ou des personnes n’ayant pas encore atteint l’âge électoral c’est-à-dire des jeunes âgés de 18 à 20 ans.  Il en est de même de la population virtuelle des réseaux sociaux. Je pense que le MRC devait se rassurer que tous ses sympathisants étaient des électeurs, en d’autres termes il devait s’investir dans les inscriptions, pourquoi ne pas convaincre les 6 millions de potentiels électeurs qui refusent toujours de s’inscrire sur les listes parce qu’ils contestent pour la plupart le jeu.  En passant, la question du déficit de représentants dans les bureaux de vote est un débat non fondé parce qu’Elecam à lui seul doit assurer la sécurisation des votes, l’absence de représentants ne saurait justifier du point de vue objectif une fraude quelconque.

Certains observateurs le taxent d’ethno fasciste, de tribaliste… Est-ce vraiment justifié ? Comment ?

Cela va de soi mais toujours est-il que le champ électoral camerounais est fortement tribalisé. Cet habitus communautaire ne laisse pas assez de place à l’exception, il est évident que tous les partis politiques ainsi que leurs leaders sont taxés à tord ou à raison d’ethnofascistes. Partant de cette réalité, il est normal que Kamto bénéficie de cette présomption. Une présomption qui tire aussi ses fondements, dans le cas du MRC, de la coloration tribale de son premier directoire, un fait qui a été vite instrumentalisé par ses adversaires pour le diaboliser, l’objectif étant de cantonner la nouvelle formation prometteuse à une aire ethnique afin de mieux la jeter à la vindicte populaire. En plus de cette instrumentalisation, il y a des agissements de plusieurs followers de ce parti qui laissent transparaitre un tribalisme béant. Sur les réseaux sociaux le repli est encore plus exacerbé.

Pour certains Camerounais un « Bamiléké » ne devrait pas être président de la République, n’y a-t-il pas lieu de dire que Maurice Kamto a été lui-même victime de tribalisme et que cela a eu un impact dans ses résultats ?

Le vote tribal ou communautaire est l’une des caractéristiques majeures du marché électoral camerounais, la tendance est néanmoins diluée dans les zones urbaines. Kamto a payé la note la plus lourde de cette tribalisation. L’idée d’une conquête du pouvoir par son ethnie d’origine, construite, diffusée et intériorisée a fait naitre le rejet. Il ne s’est plus agit dans les représentations et perceptions collectives d’une offre politique nationale mais de l’offre des Bamiléké. Cette caricature a été une véritable arme de neutralisation de l’expansion du Mrc, or on sait bel et bien que presque tous les partis importants du Cameroun sont appuyés sur des colonnes tribales, ethno-régionales ou ethnolinguistiques, y compris le Rdpc.

Qu’est-ce qui justifie cette montée du tribalisme pendant la présidentielle ?

Le premier facteur explicatif est l’échec de la construction de l’Etat-nation, la dynamique de conversion de la gesellschaft (Société) en gemeinshaft (Communauté) a été corrompue. Les identités primaires continuent de supplanter les identités nationales. Tout se pense en termes de tribus, d’ethnies ou de groupes linguistiques. Loin des représentations hypocrites, le pays est pratiquement un regroupement de factions tribales et non de citoyens ayant souscrits à l’idée de supériorité de la camerounité. De façon concrète, l’accès aux ressources étatiques comme le pouvoir suprême se pense en termes de positionnement d’une communauté villageoise. Le deuxième facteur est la connotation trop mercantiliste du pouvoir dans notre contexte, avoir le pouvoir c’est avoir accès au ressources économiques et financières, le pouvoir rime avec l’aisance matérielle. Alors, les communautés croient accéder à ce confort via leurs positions de communautés dirigeantes. Le troisième facteur est le rôle des médias sociaux qui ont démocratisé la parole publique et dilaté les frontières entres les membres des communautés. La promotion des replis se fait désormais facilement ainsi que les regroupements identitaires, ce qui favorise la saturation des consciences tribales. Enfin, il faut relever l’hypocrisie des entrepreneurs politiques qui activent souterrainement le tribalisme pour sécuriser ou créer des bastions électoraux.

Y a-t-il des chances que ça change ? Sinon, que faire pour que les prochaines échéances ne suscitent pas autant de violences verbales sur les réseaux sociaux et dans les médias ?  

Il n’y a aucun mal social qui soit insurmontable, il faut juste que le Léviathan, qui dispose de tous les moyens à savoir les appareils idéologiques, les appareils de production des politiques publiques et les appareils de pression et de répression, soit juste dans de bonnes prédispositions à juguler le mal. C’est lui qui doit impulser ce changement, je parle de la volonté de l’Etat. La construction de l’Etat-nation est à parfaire, toutes les politiques d’intégration nationale ont été court-circuitées par la gestion tribale du pays tire ses fondements de la reproduction communautariste des hauts commis de l’Etat. C’est à partir de ce paradigme que s’opère malheureusement le partage aux allures de prédation du National-cake. Si les pouvoirs publics commencent par prêcher le bon exemple, je pense que le reste de la société suivra, l’Etat aura des moyens légitimes pour contraindre les récidivistes, pénaliser par exemple les actes de tribalisme.

propos recueillis par Ghislaine Ngancha (Défis Actuels)

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