Affaire Agbor Balla : Un prêtre prend la défense du condamné

Père Ludovic Lado, Jésuite et ancien dirigeant de l’université catholique d’Afrique centrale a servi une lettre ouverte au ministre de l’Enseignement supérieur.

Père Ludovic Lado veux exorciser le Minesup

LETTRE OUVERTE AU PR. JACQUES FAME NDONGO,
MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Objet : dépolitiser l’université au Cameroun

Excellence M. le Ministre,
Je vous adresse tout d’abord mes salutations citoyennes. Je vous écris au sujet de la récente décision de mettre fin au contrat de Me Felix Agbor Balla comme enseignant associé à l’Université de Buea. Cette décision signée du Vice Chancelier de cette université a été rendue publique le 06 mai dernier à l’issue d’un conseil de discipline. Si j’ai bien compris, excellence monsieur le ministre, on reproche à Me Balla de faire la politique à l’université, plus précisément dans les salles de classe, en violation de l’éthique et de la déontologie universitaires. L’enjeu principal ici est celui de la dépolitisation de l’université camerounaise tout en garantissant la liberté académique. Mais au-delà de cette saga, la vraie question de fond, il me semble, est celle de savoir si l’université camerounaise est apolitique. Je me permets dans cette missive de partager avec vous mon point de vue sur la question.

Excellence, si j’ai bien compris, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase remonte au 03 mars dernier avec une question d’examen de fin de premier semestre formulée par Me Agbor Balla pour ses étudiants de première année, dans le cadre de l’évaluation de son cours d’Histoire Politique et Constitutionnelle du Cameroun. Une traduction française de ladite question d’examen donne ceci : « La crise anglophone de 2016 a été causée par une grève d’avocats et d’enseignants. Évaluez la validité de cette affirmation». Excellence, visiblement, vous avez jugé cette question d’examen inappropriée. Vous avez alors interpellé le Vice Chancelier de l’Université de Buea par le biais une missive dont voici un extrait: « Je vous avais demandé de mettre définitivement fin (toutes affaires cessantes) aux agissements de Maître Félix Agbor Nkongho Balla, de nature à porter gravement atteinte à l’éthique et à la déontologie universitaire et de me rendre compte de vos diligences, ce qui n’a pas été fait jusqu’ à ce jour ». Il fallait bien que le Vice Chancelier s’exécute. Un conseil de discipline a été convoqué et, en l’absence de Me Balla, la décision a été prise de mettre fin à son contrat d’enseignant qui date de 2015, un an avant le début de la crise anglophone.

Excellence, j’aimerais bien connaître les raisons pour lesquelles vous êtes arrivé à la conclusion selon laquelle la question d’examen de Me Agbor Balla constituait une entorse à l’éthique et à la déontologie universitaire. Je ne suis ni juriste ni politologue mais ça fait une quinzaine d’années que je travaille dans des institutions universitaires privées après avoir été formé dans des universités anglosaxonnes. A priori, il ne me semble pas que la querelle porte sur la question de savoir s’il s’agit bien d’un sujet d’histoire politique et constitutionnelle du Cameroun, car la crise anglophone fait désormais partie de l’histoire politique du Cameroun. Quant à la forme du sujet, l’enseignant demande à ses étudiants d’évaluer la validité d’une affirmation, c’est-à-dire d’argumenter. Pour ma part, il y a certainement un lien entre la crise anglophone de 2016 et une grève d’enseignants et avocats. Mais est-ce un lien de cause à effet ? C’est sur cette question que l’enseignant Agbor Balla demande à ses étudiants de se prononcer, il me semble.

Excellence, que reproche-t-on donc à Me Agbor Balla ? D’avoir inclus la crise anglophone dans son cours d’histoire politique du Cameroun? D’avoir donné à ses étudiants un sujet sur la crise anglophone de 2016 ? Y a-t-il des sujets tabous pour un enseignant d’histoire politique du Cameroun? Quid de la liberté académique ? Tout cela fait beaucoup de questions sur lesquelles je souhaiterais avoir un échange franc avec vous excellence Monsieur le ministre. Sur le principe, je suis d’accord vous que la politique partisane ne devrait pas avoir de place dans les salles de classe, car le rôle d’un enseignant n’est pas d’endoctriner mais d’initier les étudiants à la réflexion personnelle et critique. Seulement, jusqu’à preuve de contraire, je ne vois rien dans la question d’examen de l’enseignant Agbor Balla qui vise à endoctriner les étudiants. Au contraire, il les invite à argumenter. Le problème se serait posé si on démontrait que dans la correction des copies d’étudiants, les logiques partisanes avaient pris le dessus sur l’évaluation objective de la qualité de l’argumentation. Mais rien pour l’instant ne donne à le penser.

Au fait, excellence, revient-il au ministre de l’enseignement supérieur de juger de la qualité d’un sujet d’examen dans une université? N’est-ce pas la responsabilité d’un doyen de la faculté ou d’un chef de département ? Qui s’est donc plaint pour que vous vous sentiez obligé de contraindre le Vice Chancelier à agir ? Les élèves de Me Agbor Balla ? Ses collègues enseignants ? Le chef de département ? Le doyen de la faculté ? Le recteur ? Comment vous est parvenue l’information sur une question d’un sujet d’examen pour étudiants de première année de droit à l’université de Buea ? Peu importe ! Il me semble qu’il y a là un véritable enjeu d’autonomie de fonctionnement des universités en termes de responsabilisation des autorités. De toute évidence, Me Agbor Balla était surveillé et on peut le comprendre. C’est un activiste de la crise anglophone qui a donné du fil à retordre au régime en place. On peut craindre, en effet, qu’il ne transforme ses cours en campagnes politiques. Mais peut-on faire la différence entre l’activiste détesté par le régime et l’enseignant Agbor Balla ? Peut-on faire la différence entre le militant du RDPC et l’enseignant Pr Jacque Fame Ndongo ? En fin de compte c’est un militant du RDPC qui sanctionne un « opposant ». Mais au juste, qui fait la politique à l’université ?

Excellence, pour ma part, en expulsant ce protagoniste majeur de la crise anglophone de l’université, vous inscrivez la politique politicienne au cœur même de l’administration de l’université camerounaise. Vous êtes ministre de l’enseignement supérieur depuis 2004 et ce n’est pas le lieu de faire votre bilan. D’ailleurs je n’en ai pas qualité et ce n’est pas le lieu. Mais dans un contexte d’Etat-parti comme le nôtre où c’est l’exécutif qui nomme les autorités universitaires, le choix de ces derniers est un acte hautement politique qui fait intervenir la signature du Chef de l’Etat. Au Cameroun, les autorités des universités publiques sont nommées non seulement sur la base de leurs qualités et grades universitaires, mais aussi de leur adhésion à la ligne politique du régime en place. Ce sont souvent des cadres du parti au pouvoir. Combien d’universitaires Camerounais connus comme « opposants » sont recteurs, vice-recteurs ou doyens de facultés? J’aimerais bien le savoir.

Dans votre courrier interpellant le Vice-Chancelier de l’Université de Buea sur l’affaire Balla, vous parlez de la transgression du « caractère clos et apolitique de l’université ». Vous y croyez vraiment, Excellence ? Vous croyez vraiment que l’université camerounaise est apolitique alors que les plus grands idéologues du régime sont enseignants dans les universités et grandes écoles du Cameroun ? En son temps, certains s’étaient même spécialisés dans les publications sur le Biyaïsme comme doctrine politique. On ne les avait pas pour autant sanctionnés. D’autres ont même organisé au sein d’une université publique tout un colloque sur l’œuvre sociale de Chantal Biya. Je n’ai rien contre. Car rien n’est à priori exclu du champ d’investigation scientifique. Mais en quoi interroger des étudiants sur les causes de la crise anglophone actuelle est-il plus politique que le choix des œuvres sociales de Chantal Biya comme sujet d’un colloque universitaire. Au fait c’est cette politique de deux poids deux mesures qui me pose problème et fait douter de votre adhésion au caractère « clos et apolitique » du l’université publique au Cameroun que vous revendiquez.
Excellence, pour conclure ma lettre déjà bien longue, je suis d’accord avec vous sur le principe qu’il faut dépolitiser l’université mais je ne suis pas convaincu que l’université camerounaise est close, apolitique et autonome sous le régime que vous servez. Or, c’est sur cette base que Me Agbor Balla a été sanctionné. La dépolitisation de l’université camerounaise reste un chantier entier. J’espère que votre successeur au ministère de l’Enseignement supérieur réussira à relever ce défi.
Cordiales salutations,

Ludovic Lado,
Jésuite et Universitaire

Pour mieux comprendre le sujet:

Agbor Balla viré de l’Université de Buéa

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