Alors que depuis 2004 Paul Biya bénéficie du soutien de Bello Bouba Maïgari et Issa Tchiroma lors des élections présidentielles auxquelles ces deux anciens opposants ne se présentaient pas, cette fois-ci, non seulement ces deux hommes ont quitté le navire gouvernemental, mais surtout, se sont présentés contre leur ancien allié. Et même si le report des voix est un exercice jamais mathématiquement fiable, il reste que pour la première fois depuis une trentaine d’années, Paul Biya a affronté un électorat divisé dans les trois régions du Grand-Nord. Avec un penchant sociologique pour les natifs du coin.
L’Undp de Bello Bouba Maïgari est jusqu’ici la 2ème force politique du pays depuis le double scrutin législatif et municipal de 2020. Forte de 7 députés et un sénateur (nommé), le parti compte également 17 communes sur les 360 que compte le pays (le Rdpc en a 320). L’Undp peut se targuer d’être le seul parti en dehors du parti au pouvoir, à diriger une mairie de ville sur les 14 (Ngaoundéré), et un conseil régional, celui de l’Adamaoua. L’ancrage du parti dans la région de l’Adamaoua en fait une force incontournable qui impose le respect du parti sur la scène nationale.
Le Fsnc d’Issa Tchiroma pour sa part, dispose de trois députés, d’un sénateur (nommé) et contrôle quatre communes, notamment dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord. Et la longue présence du leader du parti au sein du gouvernement, à des postes clés, notamment le ministère de la Communication, ont fini par conforter la puissance de cet homme et de son parti, sur la scène politique nationale. Et ces derniers mois, l’homme a su défier les chiffres pour gagner en sympathie populaire dans cette partie du pays. On le voit avec le meeting que l’homme a tenu à Garoua le 22 février 2025. A Maroua, le député Salmana Amadou Ali avait mobilisé autant au cours du même mois, à son installation comme président du Mouvement des jeunes du Fsnc, pour le compte de son président, dont le parti avait réussi à phagocyter une parcelle du pouvoir du Rdpc dans la ville de Maroua. « Tchiroma a réalisé beaucoup d’œuvres dans le Grand-Nord, sans faire beaucoup de publicité ; cela lui vaut d’être digne de confiance aujourd’hui», assurait encore Jeanne Nsoga, l’ancienne secrétaire générale du Fsnc, avant sa démission.
Le MRC et Kamto
La démission des deux hommes semblait ne pas véritablement pouvoir affecter le parti au pouvoir doté de la majorité obèse dans les institutions et même en termes de quadrillage territoriale ; mais il s’avère que malgré quelques défections enregistrées au sein de ces deux formations et surtout la montée en puissance de nouvelles forces politiques comme le Pcrn de Cabral Libii et le MRC de Maurice Kamto (aujourd’hui Mamadou Mota, la longévité aux affaires des deux poids lourds de l’alliance gouvernementale, et surtout, la qualité des ministères qu’ils ont dirigés, leur ont conféré une stature non négligeable. Et même si Bello Bouba semblait tanguer dans son propre fief, notamment dans la région du Nord dont il est originaire, le Mayo-Rey, l’un des départements les plus vastes du pays, était la chasse-gardée d’un de ses éléments, Célestin Yandal. Ce jeune maire de Touboro depuis 2013, a réussi à se maintenir aux côtés du puissant lamido de Rey-Bouba, vice-président du sénat et pilier du système Biya dans tout le Grand-Nord. Si la brouille entre le populaire maire de Touboro et son leader et candidat, n’a pas permis à Bello Bouba de remporter le vote du Mayo-Rey, le Nord a basculé pour la vague jaune de Tchiroma (avec 43,51% contre 38,78% des 399 519 suffrages valablement exprimés et 8,62% pour Bello Bouba), autant que l’Adamaoua (50,33% contre 34,61% des 229 000 suffrages). Paul Biya s’est contenté de l’Extrême-Nord, mais avec une faible marge (45,93% contre 42,34% des 717 293 suffrages valablement exprimés). Bello Bouba a eu 4,01%.
En plus, dans la partie méridionale du pays, la vague jaune a eu son effet. Dans le Littoral et l’Ouest, régions traditionnellement « hostiles » au parti au pouvoir, Paul Biya n’a pas bénéficié de l’absence de Maurice Kamto, jusqu’ici leader au sortir de la présidentielle de 2018. Bello Bouba y est restée aphone, alors qu’Issa Tchiroma menait le flambeau face à Paul Biya. Dans le Littoral par exemple, Issa Tchiroma a récolté 64,59% contre 20,99% pour Paul Biya, contre 1,09% pour Bello Bouba. A l’Ouest, l’opposant a pris le dessus sur le candidat sortant, par 46,76% contre 38,61% et 1,41% pour Bello Bouba.
Ainsi, l’effet de la démission de ces deux membres du gouvernement, a bénéficié à celui qui avait en plus obtenu les faveurs des « déçus » du MRC.
NB : Série « Pourquoi Biya a perdu le Nord







