Par Louis-Marie KAKDEU
En plus de toutes les crises politiques que le pays traverse, j’indiquais ce 1er décembre 2025 que le gouvernement ne comprenait pas toujours le sens de la politique de l’import-substitution au regard de la mauvaise qualité du projet de loi des finances 2026 voté ce jour-là au Parlement. Voilà que ce 2 décembre 2025, le Ministre en charge du commerce nous donne une bonne illustration des faits que je relevais.
Il célèbre dans un communiqué rendu public, l’arrivée d’une « société indienne de renom » pour acheter « d’importantes quantités de manioc en provenance du Cameroun ». Pire, il explique que c’est une « excellente opportunité à saisir, de nature à contribuer à la résorption du chômage dans notre pays » non sans indiquer que cela s’inscrit « dans le droit fil du septennat de la Grandeur et de l’Espérance ». Cette situation est invraisemblable et je vous propose de décrypter ensemble cette énième décision politique inappropriée.
Le manioc est un aliment de base pour les populations dans 9 régions sur 10 au Cameroun. Il est aussi un intrant principal pour l’industrie locale. En 2025, le pays traverse une situation de déficit de production pour combler les besoins locaux. La production nationale de manioc est d’environ 19 millions de tonnes par an, ce qui ne suffit pas à satisfaire une demande nationale estimée à 50 millions de tonnes, créant un déficit de 31 millions de tonnes.
Le gouvernement ne peut pas favoriser l’exportation du peu de production du pays sans aggraver la crise sociale. J’explique : si les Camerounais n’avaient que 2 repas par jour, le gouvernement ne peut plus soutenir une politique qui vise à leur réduire un repas. Le Ministre du commerce se trompe constamment de tâche : il est en charge de la consommation et il se comporte comme un ministre en charge de la production, ce qui casse l’équilibre social.
Ce n’est pas à lui de lutter contre le chômage. Il doit lutter contre l’inflation ou encore contre la vie chère sans se comporter comme un commerçant ou comme le ministre des commerçants. En tant que le représentant de l’Etat, il est plutôt le ministre des consommateurs, ce qu’il ne comprend pas toujours.
Si le Ministre du commerce jouait bien son rôle, il ne se comporterait pas comme un bayam sellam. Il créerait par exemple des bourses agricoles ou alimentaires qui permettent, comme en Suisse, d’avoir la pleine maîtrise du niveau de production réelle du pays en temps réel en vue de favoriser ou non l’entrée ou la sortie (l’importation ou l’exportation) de certains produits.
En clair, l’on structure les producteurs nationaux par secteurs d’activité et l’on s’assure de savoir par jour, par semaine ou par mois le niveau réel de production du pays. Cela permet de savoir quelle quantité et quelle qualité de produit le pays peut importer ou exporter : On importe en cas de déficit la quantité nécessaire pour combler la demande intérieure et l’on ne favorise l’exportation qu’en cas d’excédent.
On ne peut aller entrer dans le circuit long (importation ou exportation) que si le circuit court (marché local ou national) est saturé ou vide en fonction des cas. En décembre 2025, le Ministre du commerce ne devait pas favoriser l’exportation du manioc du Cameroun. Au contraire, il devait favoriser l’importation de 31 millions de tonnes pour combler la demande immédiate en attendant que les ministres en charge de la production (agriculture, PME/PMI, etc.) s’occupe de la production locale en vue de la création des richesses et de la croissance.
L’on pourrait m’opposer l’argument selon lequel l’activité de production est aujourd’hui orientée marché (Market Oriented) c’est-à-dire que l’on trouve d’abord le marché avant de produire. Cette approche signifie que le marché est libre et que le gouvernement n’y intervient pas pour créer une concurrence déloyale à travers des mesures d’incitation qui profitent aux étrangers contre les locaux.
Le Ministre du commerce n’a pas à faire la publicité d’une entreprise étrangère ; il n’a qu’à laisser la « société indienne de renom » venir affronter le marché dans sa réalité et s’occuper uniquement de la régulation. C’est ce que fait le gouvernement dans tout pays normal. Par exemple, entre les années 2022 et 2023, l’Inde lui-même, premier producteur mondial de riz, avait imposé diverses restrictions et interdictions sur l’exportation de certaines variétés afin de maîtriser les prix intérieurs (lutte contre l’inflation) et d’assurer sa sécurité alimentaire.
L’interdiction d’exporter le riz blanc non basmati, initialement mise en place en juillet 2023, n’a été levée qu’en septembre et octobre 2024, suite à une récolte supérieure aux attentes en 2024 et à des stocks nationaux suffisants. En l’état, le Cameroun vit dans une situation d’insécurité alimentaire grave, ne disposant pas de stocks. Aussi, l’interdiction d’exporter le riz brisé en Inde, en vigueur depuis septembre 2022, n’a été levée qu’en mars 2025.
Je pourrais aussi prendre l’exemple de la Russie qui met en œuvre des quotas d’exportation de céréales, incluant le blé, pour garantir la sécurité alimentaire nationale et stabiliser les prix intérieurs. Pour une partie de la saison 2025, un quota de 10,6 millions de tonnes de blé avait été fixé par le gouvernement. Ces mesures sont conjoncturelles et dépendent de la situation réelle de l’offre et de la demande sur le marché.
Notre gouvernement ne comprend pas ces enjeux probablement pour des raisons égoïstes et clientélistes ; l’orientation des politiques publiques n’est pas pro-camerounaise, ce qui fonde notre opposition. Il faut utiliser un système de contingents (quotas) à l’importation et à l’exportation pour réguler le marché local.
Je prends deux exemples concrets sur le marché actuel : En novembre et décembre 2025, la production locale d’oignons est déjà disponible et le Cameroun continue de subir l’importation massive des oignons en provenance du Nigéria. Par conséquent, des oignons pourris jonchent déjà nos marchés, compromettant les revenus des producteurs et des commerçants locaux.
Où est le Ministre du commerce pendant ce temps ? L’on ne peut pas favoriser l’importation de la tomate lorsque les tomates pourrissent sur le marché comme cela a été encore le cas cette année. Le gouvernement doit travailler pour l’intérêt national et pour l’intérêt collectif. La régulation n’est pas synonyme de répression des locaux comme on peut le regretter en parcourant nos lois des finances. La régulation permet de maintenir les équilibres sociaux et économiques.
Nous sommes très loin du compte et chaque jour, le pays se rapproche encore davantage d’une crise sociale sévère. A nous de voir !
Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD et HDR







