C’est une autre affaire qui fait grand bruit dans les milieux d’affaires au Cameroun. Alors que le public assistait avec stupéfaction et sans la moindre information du gouvernement à la mort lente des 7 premiers postes de péage automatique construits à coût de milliards de FCFA, c’est le rapport de certification des comptes de l’État pour l’exercice 2024 de la Chambre des comptes, qui vient remettre au-devant de la scène, le contentieux autour du projet d’automatisation des péages routiers. Selon ce rapport, Tollcam Partenariat SAS, joint-venture des groupes français Fayat et Egis chargée de la construction de 14 postes de péage automatique, a saisi la Cour internationale d’arbitrage de Paris pour réclamer 30 milliards FCFA à l’État du Cameroun, à la suite d’une rupture unilatérale du contrat de Partenariat public-privé (PPP) attribué en 2019.
Selon la Chambre des comptes, une procédure de règlement amiable a été engagée entre l’État du Cameroun et son partenaire privé. Et des informations glanées du ministère des Travaux publique, l’on apprend qu’après la résiliation du contrat avec l’entreprise Tollcam Partenariats SAS, le gouvernement a prévu dans le budget 2026, le paiement de 20 milliards de FCFA en guise de premier versement de l’indemnité due à la société de projet, les 10 milliards FCFA restants devant être soldes en 2027, conformément aux dispositions contractuelles. La résiliation du contrat ayant entraîné le paiement d’une indemnité couvrant l’encours de la dette contractée par la société de projet, y compris le capital, les intérêts et les commissions, ainsi que l’encours des fonds propres, la perte de profit du partenaire et les coûts ou réclamations liés à la résiliation.
L’on précise également que la signature du protocole d’accord avec Tollcam est en cours de finalisation. Tout en rappelant que l’État n’a jusqu’à présent engagé aucune dépense pour la construction des sept postes de péage automatisés, les travaux ayant été entièrement financés par Tollcam via des emprunts contractés auprès des banques commerciales après la signature du contrat en mai 2020.
Aux sources du différend
C’est en mai 2020 que Tollcam a signé son contrat avec l’Etat du Cameroun et a sous-traité la construction à Razel-bec, et l’exploitation à Egis Road Opération. Ce contrat portait sur la conception ; la construction ; l’équipement ; l’exploitation et la maintenance des 14 péages, en mode Partenariat public-privé. Un projet d’automatisation des postes de péage routier déclaré éligible au régime des contrats de partenariat, le 5 avril 2016, « sur la base d’une étude technico-économique à partir de l’APD ». Il avait d’ailleurs reçu la non-objection du Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (Carpa), organe expert de l’État en matière de PPP, ainsi qu’un avis favorable de soutenabilité financière du ministère des Finances (Minfi), cosignataire avec le Mintp du contrat de Tollcam. L’entrée en vigueur du contrat, précise-t-on, a été retardée par la pandémie de Covid-19 et les exigences des institutions financières, le closing financier étant finalement obtenu en juin 2022 grâce à l’intervention de GuarantCo. Les travaux ont débuté fin 2022 sur les sept premiers postes : Mbankomo, Boumnyebel, Edéa, Tiko, Mbanga, Nsimalen et Nkometou. Après divers ajustements techniques, les réserves ont été levées en janvier 2024, permettant la mise en service progressive des équipements et des systèmes automatisés.
Le projet d’automatisation des péages, rappelle-t-on, a été lancé pour moderniser la collecte des recettes routières et optimiser les performances du réseau national. Initialement confié à un partenaire privé dans le cadre d’un Partenariat public-privé (PPP), il a conduit, en février 2024, à la décision du gouvernement de reprendre directement l’exploitation des gares de péage pour le compte de l’État. Alors que ces postes de péage automatique devaient être fonctionnels dès le mois de septembre 2023, ces infrastructures ne le sont pas jusqu’à aujourd’hui, alors que les travaux sont achevés. A la grande surprise, une semaine avant leur mise en service officielle, le 2 février 2024, le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, a officiellement notifié à Tollcam, la résiliation de son contrat. Dans la correspondance adressée à Philippe Serain, président de Tollcam Partenariat SAS, le gouvernement annonçait la transformation du PPP en marché public, retirant à Tollcam l’exploitation et la maintenance des 14 péages, ne lui laissant que la conception, la construction et l’équipement. Ces prestations doivent désormais être rémunérées dans le cadre d’un marché public à conclure. Ce différend a déjà entraîné la suspension de paiements et le licenciement de plus de 200 salariés de l’entreprise partenaire Egis.
Zones d’ombre sur les motifs de mutation du contrat
D’après certaines indiscrétions, la décision de muter le contrat aurait été prise par le chef de l’État, Paul Biya, sur la base d’un dossier préparé par le Secrétariat général de la présidence. Ce document mettrait en exergue le niveau jugé problématique des loyers à verser au partenaire privé. Pour un investissement initial de 42 milliards FCFA, Tollcam devait percevoir, sur 18 ans, un total de 195 milliards FCFA TTC. A l’échéance du PPP en 2041, le scénario financier comparatif prévoyait que les recettes cumulées des 14 péages automatisés atteindraient 632,6 milliards FCFA, sur la base d’un tarif de péage maintenu à 500 FCFA. En versant 195 milliards FCFA au partenaire privé, le Trésor public dégagerait ainsi un gain net de 437,6 milliards FCFA (impôts, taxes et autres prélèvements non inclus), soit plus du double des 210,7 milliards FCFA attendus sur 18 ans si les péages restaient non modernisés.
Toutefois, le Mintp avait signalé une réserve majeure concernant les sept premiers postes de péage automatique déjà construits. Cette réserve portait sur l’intégrité de la connexion entre le système de collecte des recettes (paiements électroniques et espèces) et le système central de la partie publique. L’enjeu étant de permettre au Mintp et au Minfi de disposer d’une visibilité en temps réel sur les recettes collectées. Cette exigence de traçabilité et de contrôle des flux financiers constitue un point sensible dans la finalisation du dispositif.
La décision de suspendre le PPP et sa mutation en marché public dans ce projet implique donc que l’entreprise détenue par le groupement français Fayat et Egis ne devrait désormais qu’être chargée de prestations pour lesquelles il sera désormais rémunéré dans le cadre d’un marché public à conclure. Après un investissement de 42 milliards de Fcfa, Tollcam devait initialement se faire payer des loyers annuels d’un montant total de 195 milliards de Fcfa sur les 18 années d’exploitation prévues dans le contrat.







