Le commerce informel entre le Cameroun et ses voisins reste une équation déséquilibrée. En 2024, le solde global des échanges non enregistrés affiche un déficit de 50,72 milliards de FCFA, en aggravation par rapport à 2023 (-44,58 milliards). Et, sans surprise, c’est le Nigéria qui en porte la plus large part avec moins de 111,73 milliards de FCFA de déficit bilatéral, selon le dernier rapport de l’Institut national de la statistique (INS).
Un déséquilibre ancien, mais dont les racines économiques s’enfoncent aujourd’hui dans la dépréciation continue du Naira, la monnaie du Nigéria. Le Naira, affaibli par les tensions monétaires et la dépendance du Nigéria aux exportations pétrolières, est devenu l’un des catalyseurs les plus puissants du commerce parallèle sous-régional. Sa baisse continue face au FCFA rend les produits nigérians bien plus compétitifs pour les commerçants camerounais, apprend-on du rapport de l’INS.
Carburants, lubrifiants, chaussures, matériaux de construction ou boissons gazeuses traversent la frontière à des prix défiant toute concurrence. D’où les importations informelles camerounaises en provenance du Nigéria ont atteint 176,58 milliards de FCFA en 2024, soit 66,5 % du total des importations non enregistrées. « Tant que le Naira reste faible, les produits nigérians seront irrésistiblement attractifs pour les marchés frontaliers du Cameroun », confie un économiste du commerce régional à Yaoundé. En effet, la monnaie nigériane s’est dépréciée jusqu’à atteindre 1690 Naira pour 1 USD (-73%) en novembre 2024. La monnaie faible d’un voisin géant agit comme un aspirateur sur la demande intérieure camerounaise, fragilisant la production locale et les recettes douanières.
DES ROUTES POREUSES ET DES CIRCUITS BIEN HUILÉS
La frontière de plus de 1 500 km entre les deux pays joue le rôle d’un couloir économique à ciel ouvert. Dans l’Extrême-Nord, 49,4 % des flux d’importations informelles transitent par les localités frontalières, suivies du Nord (20,8 %). Ces zones sont devenues de véritables plateformes d’échanges non officiels, où le carburant et le bétail se négocient à la faveur de la porosité frontalière. La baisse du Naira renforce encore cette dynamique. Le litre d’essence nigériane, revendu au Cameroun à des prix inférieurs aux tarifs officiels, alimente un trafic aussi lucratif que difficile à contenir.
À côté des hydrocarbures, les produits manufacturés nigérians progressent fortement, notamment avec les chaussures qui bondissent de +170,8 % pour atteindre 21,2 milliards FCFA, les eaux minérales de +77,4 % et les briques et carreaux de +148,9 %. Ces flux nourrissent un écosystème informel aussi ancien qu’incontrôlé, drainant des milliards hors des circuits officiels de l’économie camerounaise.
DES EXPORTATIONS EN SURSAUT, PORTÉES PAR LE CACAO
Face à cette domination des importations, le Cameroun tente de compenser par ses exportations informelles, dominées par le cacao en fèves. En 2024, le Nigéria a absorbé 64,8 milliards de FCFA de produits camerounais, soit 30,8 % des flux informels sortants. Le cacao en représente à lui seul 63,9 %, avec une progression spectaculaire de +145,6 %. Mais cette embellie masque un recul sévère d’autres produits jadis porteurs : huile de palme (-54,1 %), riz décortiqué (-68 %) et bétail vivant (-50 %).
La balance reste donc déséquilibrée, car le volume et la valeur des exportations n’égalent pas la puissance des importations dopées par le taux de change favorable du Naira. La perméabilité des frontières, les tensions sécuritaires et les différences de politiques de prix entre les deux pays maintiennent le commerce informel comme soupape économique. Tant que le Naira restera faible, les produits nigérians continueront à envahir les marchés camerounais, du Nord à Douala, sans passer par les circuits officiels.
Cette situation, si elle profite aux consommateurs à court terme, affaiblit durablement les recettes fiscales du Cameroun et déstabilise les filières locales.