Le Cameroun a dépensé 543,6 milliards de F CFA en 2024 pour importer 2,11 millions de tonnes de céréales, contre 387,6 milliards de F CFA et 1,55 million de tonnes en 2023. C’est ce que révèle l’Institut national de la statistique (INS) dans son rapport sur l’évolution du commerce extérieur du Cameroun en 2024. Selon le service officiel des statistiques du Cameroun, « Les céréales sont constituées du riz, du froment de blé ». En un an, les importations ont bondi de 36,3 % en volume et de 40,2 % en valeur, illustrant un paradoxe économique, la facture alimentaire s’alourdit au moment même où le pays déploie sa stratégie d’import-substitution. Les céréales représentent désormais, indique l’INS, 10,9 % des dépenses d’importation totale. Dans le détail, la facture du riz atteint 318,6 milliards de F CFA, soit 6,4 % des importations totales, en hausse de 58,6 % sur un an. Le blé, quant à lui, pèse 214,1 milliards de F CFA, soit 4,3 % du total et une progression de 20,1 % par rapport à 2023. Ces chiffres confirment la dépendance du pays vis-àvis des marchés extérieurs pour ses produits alimentaires de base, malgré la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement (SND30) qui fait de la souveraineté alimentaire un axe prioritaire.
LE PARADOXE DE L’IMPORTSUBSTITUTION
Face à cette situation, le ministre de l’Économie, Alamine Ousmane Mey, défend une politique qu’il juge structurante à moyen terme, « le gouvernement a adopté en 2024 un Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique (PIISAH) pour le triennat 2024- 2026. Il s’agit de réduire le déficit de la balance commerciale et de garantir la souveraineté alimentaire », explique-t-il dans une interview exclusive qu’il nous a récemment accordé. Le PIISAH repose sur trois axes : la sécurisation et l’aménagement des périmètres hydroagricoles, la modernisation de la production et de la transformation, et le renforcement de l’accès à la recherche et au financement. Au total, près de 53 milliards de F CFA ont été budgétisés pour 2025 au titre de cette initiative, principalement destinés aux opérateurs privés via la Banque des PME, sous forme de crédits à taux préférentiels et de subventions de fonctionnement. Le ministre souligne que « ces ressources visent à créer un environnement propice au développement des activités agropastorales, en misant sur l’investissement privé et la transformation locale. »
DES OBJECTIFS CHIFFRÉS MAIS UN TERRAIN ENCORE FRAGILE
Dans le sillage du Plan d’actions prioritaires du PIISAH, le Cameroun engage une offensive agricole aux ambitions claires : réduire de 40 % les importations de produits ciblés d’ici 2026. Le riz, dont la production locale devrait atteindre 464 500 tonnes, pourrait voir ses importations chuter de 70 %. Le maïs, pilier des filières agroalimentaires, vise une hausse de la production de 2,7 à 4,3 millions de tonnes, avec l’objectif affiché d’une autosuffisance totale. Les farines panifiables, portées par la montée en puissance de la plateforme des farines locales, devraient culminer à 303 600 tonnes. Le mil et le sorgho, céréales de résilience, passeront de 1,01 à 1,19 million de tonnes, tandis que le soja, en pleine expansion, est attendu à 58 100 tonnes contre 35 500 en 2022. Ces projections, loin d’être de simples promesses, traduisent une volonté stratégique de relocaliser la production, sécuriser les approvisionnements et renforcer la souveraineté alimentaire du pays. Mais ces chiffres prospectifs contrastent avec la réalité du commerce extérieur : le marché local reste fortement dépendant des importations de riz et de blé, qui grèvent la balance commerciale et pèsent sur les réserves de change.
DES LEVIERS STRUCTURELS EN CONSTRUCTION
Le Premier ministre Joseph Dion Ngute a, dès novembre 2023, annoncé une subvention de 10,3 milliards de F CFA à l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad) pour relancer la filière blé — soit un tiers du budget total alloué aux céréales cette année-là. Cette mesure s’inscrit dans un plan quinquennal 2024- 2028, doté de 417 milliards de F CFA, validé par le Ministère de l’Agriculture (Minader). Selon Gabriel Mbairobe, ministre de l’Agriculture, l’ambition est de « réduire de 35 % des importations de blé à travers la relance de la production nationale et la transformation locale. L’objectif est de produire 350 000 tonnes de blé marchand d’ici 2028. » Sur le terrain, la stratégie se traduit aussi par la sécurisation foncière de 400 000 hectares dans le corridor Yoko-Léna-Tibati, entre le Centre et l’Adamaoua, réservés aux investissements agricoles privés.
VERS UNE PRODUCTION CEREALIERE COMPETITIVE ET DURABLE
La mise en œuvre du PIISAH s’annonce déterminante pour redresser la balance céréalière du pays. L’enjeu n’est pas seulement de produire plus, mais de produire compétitif et durable, dans un contexte de hausse continue de la demande intérieure. Le ministre de l’Économie reste confiant :« Le Cameroun dispose d’atouts considérables pour transformer cette dépendance en opportunité. L’implication du secteur privé et la modernisation de la production locale sont les leviers du changement durable que nous construisons. » Entre hausse des importations et promesses de relance agricole, le Cameroun joue une partie décisive pour sa souveraineté alimentaire. Si les projections du PIISAH se concrétisent d’ici 2026, la courbe de la dépendance pourrait enfin s’inverser. Mais pour l’heure, les chiffres de 2024 rappellent l’ampleur du défi qui est celui de produire localement ce que le pays continue d’importer massivement.