jeudi, octobre 16, 2025
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Bouteilles en plastique : quand la pollution fait les affaires des récupérateurs

Depuis 1996, le Cameroun a intégré dans sa législation le principe pollueur-payeur, un outil fondamental de politique environnementale qui impose aux producteurs de supporter les coûts liés à la prévention, au contrôle et à la réhabilitation des pollutions qu’ils génèrent. Pourtant, dans la pratique, la gestion des déchets plastiques reste largement déléguée aux acteurs privés et au secteur informel. Dans les villes du pays, des collecteurs sillonnent les rues pour ramasser chaque jour des centaines de kilos de bouteilles abandonnées, qu’ils revendent à des sociétés de recyclage. Leur travail, essentiel mais précaire, pallie l’absence de dispositifs efficaces mis en place par les industriels. Alors que les multinationales de l’eau embouteillée et les brasseries continuent de produire des millions de contenants en plastique, le pays fait face à une pollution massive, responsable d’inondations et de dégradations sanitaires. Les rares initiatives de Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) et les projets pilotes de collecte restent insuffisants. Ce décalage entre le cadre légal et la réalité du terrain illustre les limites de l’application du principe pollueur-payeur et pose une question centrale : qui doit réellement assumer le coût de cette crise écologique ? Dossier réalisé par Fabrice BELOKO et Blaise NNANG

Le recyclage des bouteilles plastiques abandonné par les producteurs aux privés

Au Cameroun, la responsabilité des producteurs de bouteilles plastiques dans leur collecte et recyclage est de plus en plus reconnue et encadrée par la législation. C’est le cas avec le principe pollueur-payeur, principe clé de la politique environnementale, intégré dans la législation camerounaise depuis 1996. Les producteurs sont tenus d’élaborer des plans de gestion des déchets et de mettre en place des systèmes de collecte pour minimiser leur impact environnemental. Plusieurs initiatives, comme la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), visent à structurer ce secteur et à améliorer les taux de recyclage. La réglementation camerounaise impose donc aux producteurs d’emballages non biodégradables d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion de leurs déchets, incluant la collecte, le tri, le transport, et la valorisation. La loi prévoit la mise en place de systèmes de consigne pour faciliter la récupération des emballages en vue de leur recyclage.

QUELQUES INITIATIVES DE COLLECTE ET RECYCLAGE

Pourtant, le constat fait sur le terrain est presque le contraire. L’activité de ramassage et recyclage des bouteilles plastiques est abandonnée par les producteurs aux privés. Même si ces derniers en font de bonnes affaires, la responsabilité de cette activité incombe au premier chef aux entreprises productrices des bouteilles plastiques. Néanmoins, des entreprises comme la Société anonyme des Boissons du Cameroun (SABC) et Redplast sont impliquées dans la collecte et le recyclage des bouteilles plastiques, souvent avec le soutien d’ONG et d’autres partenaires. CFAO Retail, par exemple, a mis en place des points de collecte de déchets plastiques dans ses centres commerciaux, comme PlaYce à Yaoundé, pour encourager les citoyens à adopter des pratiques de recyclage. NAMé Recycling aussi collecte les déchets plastiques déposés dans les points de collecte et les transforme en pavés écologiques, créant ainsi des emplois et de la valeur ajoutée. Il y a également des organisations locales et internationales qui travaillent avec les producteurs pour améliorer la gestion des déchets plastiques et sensibiliser les populations.

PLUS DE 120 MILLIONS DE TONNES EN CIRCULATION

Mais, malgré toutes ces initiatives, la pollution liée aux déchets plastiques continue d’être un sérieux problème environnemental au Cameroun. Une situation à l’origine des inondations dans les villes comme Yaoundé et Douala. Selon le rapport national sur la situation des plastiques au Cameroun de 2023, en se basant sur les données de l’Institut National de la Statistique (INS), sur la période de 2015 à 2021, près de 121 millions et demi de tonnes de matériaux plastiques sont importés chaque année au Cameroun. Bref, la quantité moyenne de plastiques en circulation sur le territoire par année est de plus de 120 millions de tonnes l’année. Et seulement, environ 248 500 tonnes par an, soit 0,21%, selon les données collectées auprès du Minepded, sont collectées aux fins de revalorisation ou recyclage. Le reste, soit plus de 99% se retrouverait dans l’environnement une fois devenu déchets, (car aucun centre de collecte en vue d’une potentielle destruction rationnelle n’existe encore dans le Cameroun), où ils terminent leur course dans les écosystèmes terrestres, marins et dans des incinérations anarchiques.

Douala : ces collecteurs de bouteilles en plastique qui font tourner l’économie circulaire

Il est 12 h 06 ce 11 août 2025 à New Deido, dans le 1er arrondissement de Douala. Après une fine pluie, l’air reste lourd, saturé de poussière, de gaz d’échappement et d’odeurs de bac à ordures. Assis à même le trottoir, en face de la quincaillerie Quifeurou, Smith Ndoh, la trentaine révolue, souffle un instant. À ses pieds, quatre ballots de bouteilles plastiques compressées témoignent de sa matinée de travail. « Je me lève à six heures et je commence aussitôt à ramasser tout ce que je trouve dans le secteur », raconte-t-il, tee-shirt imbibé de sueur. Les caniveaux, les drains, les dépotoirs de quartier sont son terrain de chasse. Chaque bouteille ramassée est triée, stockée puis regroupée dans des points discrets. Autour de lui, quelques jeunes stagiaires, formés au tri et au ramassage, l’aident pour un franc symbolique. La cadence est soutenue par une pause à 13 h, reprise à 16 h, fin tardive selon la fatigue ou les trouvailles du jour.

 UNE ÉCONOMIE DE SURVIE

En moyenne, Smith collecte près de 500 kilogrammes de bouteilles plastiques par jour. Ces déchets deviennent monnaie d’échange auprès d’Ecogreen, une société spécialisée dans la collecte et le recyclage, implantée depuis janvier 2023 dans la zone industrielle de Bonassama, à Douala IV. L’entreprise, qui s’étend sur plus de 45 000 m², ambitionne de nettoyer drains, fleuves et mangroves, et déploie un processus en cinq étapes qui sont constituées de la collecte, du transport, du tri, du recyclage et de la transformation. Dans cette chaîne, Smith est un maillon invisible mais indispensable. « Une tonne se vend environ 25 000 francs CFA », explique-t-il. Ses revenus oscillent entre 10 000 et 15 000 francs CFA par jour, voir plus selon la chance et l’effort. De quoi assurer ses besoins quotidiens et contribuer à quelques cotisations. « C’est difficile, mais ça permet de tenir », souffle-t-il.

LE COMBAT DU MATÉRIEL

L’activité, pourtant essentielle, reste précaire. « Ma première priorité, c’est qu’on ne retrouve plus ces déchets plastiques parmi nos ordures. Les déchets organiques se décomposent en un mois, mais le plastique prend 500 ans », insiste Smith. Chaque kilo ramassé est une bataille contre une pollution durable. Malgré son engagement quotidien, le collecteur de déchets fait face à un manque criant de moyens logistiques. Sans tricycle pour transporter les ballots, ni tenue adaptée à la rudesse du terrain, il travaille les mains nues, abîmées par l’effort, vêtu de vêtements usés qui ne protègent ni du danger ni des intempéries. « Si on avait du matériel, ce travail serait beaucoup plus facile », confie-t-il, résigné. En dépit des contraintes, il s’organise avec ingéniosité, négocie des points de stockage et maintient une relation constructive avec la mairie, dans l’espoir que les conditions s’améliorent.

UN SECTEUR INFORMEL, MAIS STRATÉGIQUE

Dans l’ombre des multinationales de l’eau embouteillée et des grandes marques de boissons, Smith et des centaines d’autres collecteurs alimentent les usines de récupération. Leur contribution est double, fournir la matière première du recyclage et désengorger les rues de Douala, souvent étouffées par des bouteilles qui bouchent les drains et aggravent les inondations. Invisible dans les statistiques officielles, ce secteur informel représente pourtant une réponse économique et écologique face à la prolifération des déchets plastiques. Dans une ville où chaque saison des pluies rappelle le coût des inondations, ces collecteurs deviennent, malgré eux, des acteurs de résilience urbaine. Smith le sait. En reprenant ses ballots d’un geste assuré, il s’apprête à repartir dans sa ronde. À Douala, le plastique est devenu une monnaie, et Smith, un survivant, un travailleur de l’ombre dont l’effort nourrit une économie verte encore balbutiante, mais vitale.

Marché de bouteille en plastique : la nouvelle manne de l’agroalimentaire

Le plastique est partout, et plus encore dans les bouteilles qui inondent les rayons des supermarchés, les kiosques de quartier et les rues du Cameroun. Derrière cette explosion de contenants en polyéthylène téréphtalate (PET) se cache une industrie en pleine effervescence, où producteurs, embouteilleurs et recycleurs se disputent une manne en croissance constante, mais au prix d’un lourd tribut environnemental. Plusieurs entreprises locales et internationales animent ce marché. La Société Anonyme des Brasseries du Cameroun (SABC), Source du Pays ou encore BRASAF figurent parmi les grands consommateurs de bouteilles en plastique pour conditionner boissons et eaux minérales. Dans l’agroalimentaire, SCR Maya & Cie et Saagry SARL fabriquent des contenants pour huiles raffinées, tandis que Deeplast, Noble Plastic et Nova Plast approvisionnent le marché en emballages divers. En 2023, Mit Chimie, société d’ingénierie implantée à Douala, a injecté près de 7 milliards de Fcfa dans la mise en service d’une unité de production de grande envergure. Le but était de fabriquer chaque année 250 millions de préformes et 300 millions de bouchons, répondant ainsi à une demande en constante progression. Ce pari industriel, ambitieux et stratégique, illustre la vitalité d’un secteur en pleine mutation au Cameroun, porté par les dynamiques de consommation et les enjeux de recyclage.

UNE MANNE ÉCONOMIQUE QUI S’ÉTEND AU MARCHÉ DE L’EAU

L’eau en bouteille est l’un des principaux moteurs de cette industrie. La Société des Eaux Minérales du Cameroun (SEMC), avec sa marque emblématique Source Tangui, doit désormais partager le marché avec des concurrents agressifs comme Source du Pays, qui a fortement accru sa part au cours des dernières années. Même Camwater, entreprise publique en charge de la distribution de l’eau potable, a annoncé son entrée prochaine dans la production d’eau embouteillée, bouleversant les équilibres existants. Selon le cabinet Nielsen, le marché camerounais de l’eau minérale a bondi de 46,4 % en 2018, atteignant 320 millions de litres. Une tendance qui se poursuit, alimentée par la méfiance des ménages envers l’eau du robinet et la montée des préoccupations sanitaires.

LE REVERS DE LA MÉDAILLE : UNE MONTAGNE DE DÉCHETS PLASTIQUES

Cette effervescence a cependant un coût. Le Cameroun produit chaque année environ 800 000 à 1 million de tonnes de déchets plastiques, contre 600 000 tonnes il y a encore quelques années, selon les données officielles. Rien qu’en bouteilles, cela représente des centaines de millions d’unités qui finissent trop souvent dans les rues, les drains ou les cours d’eau. Abandonnées dans les rues, les bouteilles en plastique deviennent un fléau urbain. Elles obstruent les conduites d’eau, aggravent les risques d’inondation et créent un terrain propice à la prolifération de maladies hydriques. Ce cocktail de nuisances illustre les conséquences d’une gestion défaillante des déchets, avec des répercussions directes sur la santé publique et l’environnement.

RECYCLAGE : UN SECTEUR ENCORE BALBUTIANT

Face à cette urgence écologique, quelques initiatives tentent de fermer la boucle. Namé Recycling, leader du secteur, affirme avoir collecté et recyclé 9 000 tonnes de déchets plastiques en 2023, soit environ 250 millions de bouteilles. « Le plastique brut est transformé en flocons et en sangles PET, qui sont ensuite revendus comme matières premières sur les marchés local et international », explique l’entreprise. Si ces efforts sont notables, ils restent marginaux au regard du volume global de déchets produits. L’industrie du recyclage peine encore à suivre le rythme de la consommation et à s’imposer comme un maillon incontournable de la chaîne.

ENTRE CROISSANCE ET URGENCE ENVIRONNEMENTALE

Le marché des bouteilles en plastique au Cameroun illustre les paradoxes d’une économie en développement. D’un côté, une demande en forte expansion portée par la consommation d’eau et de boissons industrielles ; de l’autre, une pression environnementale croissante, avec des déchets qui asphyxient villes et rivières. L’avenir de cette filière dépendra autant de la capacité des industriels à innover et investir que de celle des pouvoirs publics à encadrer la production et encourager le recyclage. Dans un pays où l’eau embouteillée est devenue une nécessité quotidienne, la question n’est plus de savoir si le marché des bouteilles va croître, mais comment il pourra le faire sans étouffer son environnement.

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