Le 18 août 2025, le président Paul Biya a signé un décret autorisant le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, à lever jusqu’à 930 milliards de FCFA sur les marchés intérieur et extérieur. Selon les termes du décret, 350 milliards de FCFA seront mobilisés localement, via des émissions d’obligations sur la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (Bvmac) ou sur le marché des titres publics de la BEAC.
Par ailleurs, 250 milliards proviendront de prêts directs d’institutions privées locales, tandis que 330 milliards seront recherchés auprès des marchés bancaires étrangers. Officiellement, l’opération s’inscrit dans la stratégie de financement du budget et de résorption de la dette intérieure. Mais en amont, entre mars et juillet, une série d’initiatives ont été conduites pour préparer le terrain, soigner la signature de l’État et réduire le risque d’un accès contraint aux capitaux.
UN ROADSHOW POUR REDORER L’IMAGE DU PAYS
En mars 2025, le Cameroun a lancé une tournée de trois jours aux États-Unis (New York et Boston), puis à Londres. Présentée comme un « non-deal roadshow », la mission n’avait pas pour objectif immédiat de lever des fonds, mais de rétablir un dialogue avec les investisseurs internationaux. Les autorités ont exposé les réformes en cours, les perspectives de croissance inscrites dans la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30), et les engagements de gouvernance budgétaire.
Selon les notes officielles du ministère des Finances, les discussions ont aussi porté sur des sujets comme la reconstruction de la raffinerie Sonara, le retrait de Société Générale du marché bancaire local, et la crédibilité de la trajectoire d’endettement. « Il ne suffit pas de venir chercher de l’argent. Il faut aussi montrer aux investisseurs ce qui va, ce qui ne va pas. Si vous êtes connus, on vous fait beaucoup plus confiance », avait insisté Louis Paul Motazé. Cette stratégie rompt avec une pratique jugée défavorable, consistant à solliciter les marchés uniquement en période de besoin urgent.
AFREXIMBANK, PARTENAIRE DÉCISIF
En parallèle, le Cameroun a obtenu le soutien déterminant d’Afreximbank. Le 1er juillet 2025, l’institution panafricaine a facilité la levée de 200 milliards de FCFA sur le marché des titres publics de la BEAC, en mobilisant un mécanisme d’échange de devises permettant une conversion d’euros en francs CFA. Cette intervention a permis au Trésor de placer des obligations de maturité comprise entre trois et sept ans, rémunérées à des taux allant de 6,5 % à 7,5 %.
Elles ont été absorbées par des banques locales de premier plan telles que Afriland First Bank, Ecobank, Société Générale Cameroun et SCB. Ce montage a marqué une première dans la sous-région car, jamais une institution financière étrangère n’avait directement participé au marché primaire des titres publics de la CEMAC. Signe de la volonté des autorités de diversifier leurs partenaires, 250 milliards de FCFA (mentionné dans le décret présidentiel du 18 aout 2025, ndlr) devraient encore être mobilisés auprès de banques locales, « avec une garantie partielle d’Afreximbank pour limiter leur exposition au risque souverain », a révélé le gouvernement dans le document de programmation budgétaire pour la période 2026-2028.
Toujours dans la logique de sécurisation, Yaoundé a négocié depuis mai 2025 un crédit externe de 100 milliards de FCFA structuré avec la banque française Natixis et adossé à une garantie de la MIGA, bras armé de la Banque mondiale pour l’assurance contre les risques politiques. Destiné à couvrir des besoins de trésorerie immédiats, ce financement n’est pas explicitement rattaché au nouvel emprunt de 930 milliards, mais il en constitue un signal indirect, celui d’un pays cherchant à réduire la perception du risque politique qui pèse sur ses opérations. Pour absorber le coût de ce montage, le gouvernement a différé le paiement d’une partie de sa dette intérieure, libérant environ 34,5 milliards de FCFA. Concrètement, plusieurs prestataires nationaux et adjudicataires de marchés publics ont vu leurs règlements repoussés, une pratique déjà observée en 2024.
DES AVERTISSEMENTS PERSISTANTS DES AGENCES DE NOTATION
Ces efforts se heurtent toutefois aux réserves persistantes des agences de notation. Fitch Ratings a confirmé en mai 2025 la note souveraine du Cameroun à B, perspective négative, en raison de « tensions politiques grandissantes à l’approche des élections », d’une « gouvernance budgétaire fragile » et de « déficiences dans la gestion des finances publiques ». L’agence a aussi pointé « l’âge du président Paul Biya (92 ans) et l’absence d’un plan de succession », facteurs aggravant le risque de transition désordonnée du pouvoir. Moody’s, en février 2024, avait déjà abaissé sa note à Caa, mentionnant explicitement « les risques de déstabilisation politique en l’absence d’un plan crédible de succession présidentielle ». Standard & Poor’s, en mars 2025, a maintenu la note B-/B avec perspective stable, tout en soulignant que « l’inexpérience du pays en matière de transition politique accroît l’incertitude ».
Pris isolément, ces mouvements – roadshow, soutien d’Afreximbank, garantie MIGA, différé de paiements domestiques – auraient pu paraître ponctuels. Mais leur séquence entre mars et juillet dessine une stratégie implicite qui consiste certainement à soigner la crédibilité du Cameroun avant l’opération massive de 930 milliards FCFA. À court terme, cette préparation vise peut-être aussi à obtenir des conditions de financement plus favorables que lors du placement privé d’août 2024, qui avait atteint un taux élevé de 10,75 %. À moyen terme, elle constitue un investissement en réputation financière : renforcer la confiance des marchés, préserver la notation et diversifier les sources de financement. Reste que les incertitudes politiques et la fragilité de la gestion de la dette intérieure demeurent des risques majeurs. Comme l’a rappelé le FMI lors de la huitième revue du programme appuyé en mai 2025, le règlement des arriérés domestiques est essentiel pour éviter l’asphyxie du tissu économique local.