Violation des libertés publiques : Une chape de plomb contreproductive pour le pouvoir de Yaoundé

Par Moussa Njoya, Politologue

Le 19 décembre 1990, le parlement camerounais adoptait un ensemble de lois, dites « les lois de la liberté » qui réglementaient principalement, la communication sociale, les réunions et manifestations publiques, les associations et les partis politiques.
Grosso modo, il s’agissait de faire le Cameroun dans une nouvelle ère : celle de la libéralisation sociale et de la démocratisation politique. Plus que jamais, l’on avait l’espoir que la promesse du président Paul Biya selon laquelle, on aura plus besoin de prendre le maquis pour exprimer et assumer ses opinions, prenait corps. Et les années suivantes seront plutôt satisfaisantes. La liberté frisant même parfois le libertinage. Mais depuis quelques mois, l’on a une nette impression de retour aux heures sombres et obscures du monolithisme politique et idéologique. Faites de brimades en tous genres des dissidents, d’emprisonnement des opposants et surtout musèlement de la société.

Toutes choses qui, paradoxalement, se trouvent favorables aux adversaires internes et externes du régime de Yaoundé.

UNE FABRIQUE EXPONENTIELLE DE MARTYRS

Les réseaux sociaux ont eu pour principale conséquence, au
Cameroun comme ailleurs, la libération de la parole. Alors que
pendant longtemps, la prise de la parole publique était réservée à
une certaine élite, tirant sa « légitimité » de sa formation et de son
parcours, qui leur conférait une forme d’autorité morale et sociale, la survenance des réseaux sociaux permet à tout un chacun, au tout venant, de prendre la parole, de parler de tout, et très souvent en toute non-maitrise des sujets abordés.

Les « directs » et les fameux « breaking news » ont fabriqué de toutes pièces, une nouvelle race de « journalistes », qui n’hésitent pas à prendre le parti de la désinformation et de la manipulation. Faisant de l’outrage, de l’outrance et de l’outrecuidance leurs principales marques de fabrique.

Face à ce nouvel état de choses, le gouvernement du Cameroun se montre frileux et nerveux. Résultat, il en vient à exercer contre ces personnes, auto-érigées en « influenceurs web » ou « web journalistes », une violence pour le moins contreproductive. En effet, l’emprisonnement de ces imposteurs, très souvent maitres-chanteurs, ne sert souvent à rien d’autre que leur élévation au rang de martyr. Erigeant de simples arnaqueurs, souvent englués dans la fange de l’oisiveté, des ‘journalistes émérites » qui désormais, méritent l’attention de « Reporters sans frontières » ou de « Pen international ». Quelle insulte ! Quelle injure pour ces véritables hommes de médias, qui à travers leurs reportages, leurs articles, leurs enquêtes mettent réellement leurs vies en danger, sans pour autant bénéficier des mêmes faveurs. Quelle injustice, pour ces véritables journalistes, qui ont pris la peine de se former minutieusement et patiemment, à l’école ou dans les entreprises de presse, afin d’exercer, selon les canons de l’art, l’un des plus beaux métiers du monde, de se voir ainsi ravir la vedette, ou tout simplement assimilés, à ces « OPNI » (objets professionnels non identifiés).

La faute à des responsables sécuritaires, judiciaires et gouvernementaux qui trop préoccupés de protéger leur honneur bafoué, transigent avec les règles de procédure pénale et commettent des impairs avec les droits de l’homme. Là où une ignorance de ceux-ci en bonne et due forme les aurait condamnés à une disparition certaine et inéluctable de l’espace publique. Ce d’autant plus si le gouvernement fait montre d’une transparence tous azimuts, réduisant à la portion congrue les possibilités de rumeurs. Avec leurs lots de fantasmes.

UNE REDUCTION AU SILENCE AMPLIFICATRICE

C’est une règle quasi-universelle : la censure profite au censuré. Malgré cela, le régime de Yaoundé se plait à vouloir censurer les leaders d’opinion et la presse classique.
En effet, il n’est pas rare de voir le ministre de la communication, convoquer une conférence ou une communication de presse, dans le but de contredire ou de « dénoncer » un rapport de telle ou de telle autre Ong nationale et surtout internationale. Il en est de même des articles et autres reportages dans la presse nationale et davantage internationale.

Ces conférences de presse, souvent suivies de « communiqués officiels » et « tirs groupés » de la « presse patriotique » n’a souvent d’autres effets que l’amplification et la légitimation de ces publications.
En effet, très souvent, les populations camerounaises, en prise aux difficultés quotidiennes, préoccupées à joindre les deux bouts, ne sont pas au courant de ces rapports, qui pour l’essentiel sont publiés en ligne et destinés à une infime élite. De même, elles ne sont pas souvent au fait, le moins du monde, de ces articles parus dans des journaux, dont le prix d’un numéro équivaut à la ration journalière de leurs maisonnées. Voire plus.

Alors, pourquoi tant d’énergie déployé, de sommes dépensées, de personnes déployées, pour faire la publicité d’une parution dont nul n’est souvent au courant. Avant que le gouvernement n’en parle.

La situation devient totalement dramatique lorsque ces « mobilisations » gouvernementales, contre ces « ennemis » internes et extérieurs, sont suivies des interpellations et des emprisonnements, comme cela a été le cas avec la journaliste Mimi Mefo. D’une popularité plus que relative, elle a été élevée au rang de « héros national » grâce à son arrestation et son emprisonnement de quelques jours. Et plus que jamais, ses publications sont suivies, mieux, recherchées et scrutées par le grand public, qui lui accorde plus que jamais le plus grand crédit. Merci la censure ! Serait-elle tentée de dire.

DES INTERDICTIONS DE REUNIONS ET DE MANIFESTATIONS QUI PROFITENT A LEURS PROMOTEURS

Alors qu’elle était de l’ordre de la banalité, l’organisation des réunions et des manifestations publiques est désormais du domaine des miracles. « Risque de trouble à l’ordre public » est le motif plébiscité. A côté de quelques-unes, à la vacuité toute aussi abyssale, du genre « non précision de l’objet », « indisponibilité du site », ou encore « contestation de la qualité des organisateurs ». Tout y passe et tout est bon, y compris la non-motivation des décisions. Pourvu que ces réunions et manifestations publiques ne se tiennent pas.
Il n’est pas alors rare de voir un sous-préfet, bardés de gendarmes et de policiers, venir interrompre une réunion publique, alors qu’aucune disposition légale ne le prévoit. Et le moins que l’on puisse dire est que les grands bénéficiaires sont les organisateurs. Car une conférence qui devait se tenir dans un salon feutré, suivie par tout au plus quelques dizaines de personnes, et passer totalement inaperçue pour le grand public, eu égard au manque d’appétence des Camerounais pour les assises intellectuelles, devient une affaire populaire. Chacun cherchant désormais à savoir ce qui devait y être dit, pour que la réunion soit dispersée manu militari. Ces interdictions apparaissent alors comme du pain béni pour les initiateurs qui désormais ne rêvent que d’une chose, voir leurs réunions interdites pour s’assurer une communication à très peu de frais.

Il en est de même pour les manifestations publiques où ce qui peut arriver de mieux à leurs promoteurs, c’est une interdiction. Aussi, n’est-il plus rare de voir d’organisateurs projeter des manifestations dans l’espoir de les voir interdites, pour prétendre à une popularité qu’ils n’ont pas. C’est ainsi que l’on a vu le Pcrn de Cabral Libii se résoudre lui-même à annuler la marche que ses responsables projetaient organiser en guise de soutien aux populations des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Face à l’indifférence des autorités, et surtout conscient de leur très faible capacité à mobiliser, ils avaient été réduits à opter pour un « report » sine die. Les autres autorités compétentes en la matière devraient en prendre de la graine.

A contrario, les plus grands bénéficiaires de ces interdictions de manifestations et réunions publiques sont à n’en point douter Maurice Kamto et son parti le Mrc. En effet, dès ses fonds baptismaux, le Mrc a presque toujours bénéficié de cette « faveur » gouvernementale. C’est ainsi que son lancement à l’hôtel Hilton en septembre 2012 avait été gratifié d’une couverture médiatique et d’une attention particulière dans l’opinion publique après son interdiction. Lui assurant des succès extérieur.

Le bilan est aujourd’hui clair et limpide : chaque interdiction d’un meeting de Maurice Kamto contribue à promouvoir sa popularité. Que dire de son emprisonnement qui aura décuplé son aura. Plus que jamais, les rangs de son parti politique se grossissent au jour le jour et surtout au grès des interdictions de ses manifestations.

La situation est telle que les responsables des autres partis politiques, à l’instar de Jean Robert Waffo, le ministre de la communication du Shadow cabinet du Sdf, en sont réduits à revendiquer leur part d’interdiction. Soupçonnant, ni plus ni moins, le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, de connivence avec le Mrc.

Pire encore, pendant que les rangs du Mrc s’emplissent, l’on observe une démobilisation des troupes du Rdpc, en dépit de l’autorisation systématique de leurs manifestations. Et Les membres du gouvernement ont ainsi eu tout le loisir de le constater lors des cérémonies du deuil national à Bafoussam.

UNE MISE AU BAN VOLONTAIRE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

Pendant que les opposants et dissidents tirent leurs lauriers de la nouvelle chape de plomb qui couvre désormais l’espace public camerounais, le gouvernement est de plus en plus mis au ban de la communauté internationale sur la base des accusations de violations récurrentes des droits de l’homme, du fait de ses agissements récurrents. La sortie de l’Agoa n’étant surement que l’inauguration d’une longue liste de sanctions à venir.

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