Manœuvres : « 10 millions de Nordistes » : espoirs, craintes et suspicions

Si elle est officiellement apolitique, l’initiative lancée par Guibaï Gatama pour «promouvoir et défendre les intérêts des ressortissants du Grand nord» suscite des craintes au sein d’une partie de l’opinion.

« Promouvoir et défendre les intérêts des ressortissants du Grand Nord dans un esprit républicain». Tel est le leitmotiv du mouvement «10 millions de Nordistes» créé le 27 juin 2020 par Guibaï Gatama. L’initiative, telle que présentée, se veut être une lueur d’espoir pour les Camerounais originaires des régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. Dans un pays où ces derniers se disent «lésés». «Si nous sommes 10 millions, c’est que nous sommes une force. Nous devons l’affirmer. Nous devons avoir un mot dans les affaires de notre pays. Nous avons un rôle à jouer dans notre pays», affirme le promoteur de l’initiative qui mobilise déjà près de 8 mille personnes sur le réseau social Facebook.

Poids politique

De l’avis de certaines analyses sociopolitiques, le mouvement «10 millions de Nordistes» peut en effet trouver un écho favorable et bénéficier par conséquent d’un poids politique important, dans une société plurale traversée par la résurgence permanente des replis identitaires. Une influence qui, selon le docteur en sciences politiques Aristide Mono, est soutenue dans ce cas spécifique par l’extension géographique et démographique du projet qui entend regrouper les ressortissants de trois des dix régions du Cameroun dont l’une d’entre elles s’affirme comme la plus dense du pays. «Autrement dit, la zone de couverture visée par l’initiative s’étend sur l’un des trois plus grands complexes sociologiques camerounais à savoir le complexe nordique quoi qu’ethniquement très hétérogène. Il est donc clair qu’en cas d’adhésion massive à ce mouvement, ce dernier peut peser considérablement dans les futures configurations politiques au Cameroun», décrypte l’analyste politique. Le Grand Nord c’est en effet un concentré de trois régions qui représentent à elles seules une puissance économique, politique et démographique, objet de toutes les convoitises en période d’élection présidentielle.

Le septentrion, une puissance convoitée

Le Septentrion représente le plus important réservoir de voix du pays (environ 2,3 millions d’électeurs sur près de 6,6 millions d’inscrits). Pas étonnant qu’en marge de la présidentielle de 2018, le candidat au pouvoir, Paul Biya, a dû tenir son unique meeting de campagne à Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord. Résultat : ce dernier a rempilé à l’issue du scrutin avec notamment des scores sans appel dans l’Adamaoua (79,8 %), le Nord (81,62 %) et l’Extrême-Nord (89,01 %). Or, il faut associer au poids lié aux projections territoriales de l’initiative «10 millions de Nordistes», le profil de son promoteur central qui jouit aujourd’hui d’une certaine notoriété dans la défense des intérêts des ressortissants du Septentrion, avec à sa disposition un instrument de communication nationalement établi, L’œil du sahel, qui ces dernières années, s’est positionné comme l’écho du grand Nord. «On sait d’ailleurs que ce promoteur totalise un background de porteur de cause politique de cette région via un lobbying permanent dont l’une des illustrations la plus flagrante est le Mémorandum du Grand Nord de 2004 qui s’était soldé par la cooptation des fils du Septentrion, signataires dudit document dans le gouvernement», décrypte encore Dr Aristide Mono.

Un mouvement qui divise

Pour le docteur en sciences politiques, le seul handicape à la consolidation du poids potentiel de ce mouvement pourrait résider en la difficile pénétration de la sensibilisation sur le projet dans toutes les communautés nordiques afin que l’initiative puisse recueillir l’adhésion et la mobilisation intra nordique escomptées. Entre temps, l’initiative du journaliste Guibaï Gatama provoque depuis son lancement, un énorme tollé sur les réseaux sociaux. Certains observateurs parmi lesquels des Nordistes, ayant vite fait d’assimiler le mouvement à une «dérive ethno politique». «Ce mouvement, déclare un journaliste originaire de Ngaoundéré, fait la promotion de la division du Cameroun sur la base identitaire nordiste». Quand d’autres le voient comme un «chantage à la République». «Le mouvement 10 millions de Nordistes est un mouvement politique pour le positionnement de Guibaï et ses amis en quête du pouvoir, s’est emporté Hamadou Haminou de l’Alliance Nationale pour le Progrès du Cameroun (Anpc). Ces gens sont méchants et veulent nous diviser». Faux, rétorque un membre de l’initiative créée sur Facebook : «notre mouvement n’est pas le fruit du spontané, de l’opportunisme ou encore de la manœuvre politicienne.  »10 millions de Nordistes » est le résultat d’un engagement acharné pour le développement socio-économique du Grand Nord, et le plein épanouissement de nos frères et sœurs, sans discrimination aucune».

Par Arthur Wandji

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