Dr Dieudonné Mignamissi : « orienter la réforme vers les priorités économiques des pays concernés »

L’enseignant-chercheur à l’université de Yaoundé II commente les négociations annoncées entre la Cemac et la France au sujet d’une éventuelle réforme du franc CFA.

A votre avis, le franc CFA est-il un outil de domination française ou un instrument de stabilité monétaire ?

Permettez-moi d’entrée de jeu rappeler le contexte qui a favorisé l’émergence d’un cadre ayant conduit à la création du franc CFA. Il s’agit bel et bien de la Zone Franc, l’une des zones monétaires les plus anciennes du monde, créée en 1939, lorsque débute la Seconde Guerre Mondiale. L’objectif à cette époque était sans doute la préservation du pré-carré politique par la métropole dominante. On est à la veille de la seconde guerre mondiale, et la création d’un cadre de concertation et de ravitaillement en ressources était dès lors nécessaire. A la fin de la guerre en 1945, cette forme de coopération monétaire est renforcée par la création du Franc des «colonies françaises d’Afrique». Pour ce qui est de son statut, il faut noter que le Franc CFA est une monnaie qui a connu beaucoup de rebondissements, entre dévaluations et arrimages (au franc français jusqu’en 1999 et à l’Euro depuis lors) ; entre indépendances, création des zones d’intégration et érection des instituts d’émission, etc. Force est quand même de constater que le Franc CFA est une monnaie dont le statut s’est métamorphosé dans le temps, se réinventant plus ou moins. Il convient de souligner que de nos jours, cette monnaie tout comme le système monétaire qui la gouverne ont largement contribué à assurer la relative stabilité macroéconomique des pays qui l’utilisent, même si les autres pans de l’économie ont été plus ou moins délaissés.

Certaines indiscrétions font état de ce que des négociations seraient en cours entre les dirigeants de la CEMAC et la France au sujet d’une éventuelle réforme du franc CFA. Quel commentaire ?

Pour ce qui est des négociations qui s’annoncent, il faudrait s’armer d’outils efficaces et de ressources humaines compétentes au regard de la perspicacité de l’autre partie. C’est déjà une bonne nouvelle si ces négociations sont projetées. Cela montre une fois de plus que les accords monétaires doivent évoluer dans l’optique de donner à la future structure monétaire un autre statut, celui de catalyseur de la transformation structurelle, gage d’une insertion réussie dans les chaines de valeur mondiales. Pour ce faire, la réforme, pour un aboutissement meilleur, devrait être orientée vers les priorités économiques des pays concernés. Elle devra donc être faite avec les Africains, par les Africains et pour les Africains. Toute présence étrangère risquerait d’être de trop aux yeux de la société civile et de certains experts.

Quel avenir pour le franc CFA en Afrique Centrale après la réforme annoncée par le gouvernement français ?

L’avenir du Franc CFA en Afrique centrale dépend de l’aboutissement ou pas de la réforme projetée. A notre avis, plusieurs scénarii s’offrent à l’analyse, certains redoutés, d’autres prometteurs. Parmi les scénarii prometteurs, celui de l’ouverture de la Cemac à la Ceeac, à l’image de l’ouverture de l’Uemoa à la Cedeao, semble être indiqué. Ce scénario invite à réinventer totalement la future union monétaire, selon les principes de l’Union Africaine, qui considère la Ceeac comme le seul pôle d’intégration en Afrique centrale. La réforme devrait donc s’inscrire dans cette optique de déconnexion avec l’ancien signe monétaire pour garantir la durabilité du projet, bien qu’il n’existe pas de structure monétaire parfaite.

Réalisée par Arthur Wandji

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