Désiré Atangana Kouna: « Il faut créer un environnement culturel avec des structures de formation et de promotion »

Auteur et enseignant de Littérature à l’Université de Yaoundé I, il analyse les prouesses des écrivains camerounais d’expression française et fait des propositions pour la promotion de la littérature au Cameroun.

Les écrivains camerounais d’expression française font de plus en plus des prouesses sur le plan international. Quels commentaires  faites-vous de cette actualité ?

La littérature camerounaise a toujours rayonné à l’international. Il n’y a qu’à voir que Jean-Ikellé Matiba avait reçu le grand prix d’Afrique noire en 1963 déjà. Nul ne peut ignorer le rayonnement des classiques de cette littérature que sont Mongo Beti, Ferdinand Oyono ou Francis Bebey pour ne citer que ceux-là. Toutefois, on peut relever que de plus en plus les instances de légitimation sont portées à leur octroyer des prix. Ceci traduit le vent de démocratisation et l’attitude postcoloniale qui animent ces instances, mais surtout la qualité attestée de nos écrivains, qui ne sont plus lus uniquement à l’aune du regard exotique. Beaucoup parmi eux se sont d’ailleurs imposés à partir du champ et de l’espace de ces lieux de légitimation.

Qu’est ce qui peut expliquer que  des écrivains camerounais reçoivent  des prix chaque année et cela reste inconnu du grand public ?

Il y a nécessairement plusieurs facteurs à cet effet. Il y a le désintérêt de la presse en général et l’absence d’une presse spécialisée (à quelques exceptions près), d’une part ; il y a l’absence d’une politique de promotion des écrivains réputés, d’autre part. Savez-vous qu’avant le Goncourt des lycéens de Djaïli Amal des écrivaines camerounaises – pour les citer en premier – ont reçu des prix aussi prestigieux ? Beyala a remporté successivement le grand prix de l’Académie et le prix François Mauriac ;LéonoraMiano a remporté le Goncourt des lycéens, le grand prix d’Afrique noire, le prix Fémina. Mutt-Lon, qui vit et travaille au Cameroun (à la CRTV), a remporté, en 2014, le prix Ahmadou Kourouma. Aucun de ces textes n’est au programme des lycées par exemple.

Au niveau du Cameroun ou bien à l’université dans laquelle vous enseignez, est ce qu’il ya des mécanismes qui sont mis en place pour promouvoir la littérature ?

J’évacuerais d’abord l’université de ce débat : notre travail n’est pas celui de promotion mais de réception par la recherche sur cette littérature, et, incidemment, de diffusion à travers l’enseignement de la littérature camerounaise. De ce point de vue, le contrat est pleinement rempli et nous en redemandons. Il y a quelques temps votre journal a fait une note de lecture de l’ouvrage que le collègue Richard Laurent Omgba et moi avons dirigé, sous le titre : La Littérature camerounaise d’expression française : des années de braise aux années d’espérance. Malheureusement les instances habilitées au quotidien dans la construction d’un champ et d’une institution littéraires camerounaises, par le biais de la réception, grâce à la promotion et à la diffusion, font défaut. Combien de moments de célébration des écrivains camerounais ? Combien d’événements pour le livre camerounais ? Combien de lieux pour découvrir et lire la littérature camerounaise ?

Certains estiment que la littérature n’est que diversion et qu’il ne sert à rien de mettre des moyens, surtout dans un pays pauvre comme le notre, pour la promouvoir.Que répondez-vous à ceux-là ?

Le livre fait partie du patrimoine culturel d’un pays, il est un bien culturel dont la rentabilité économique est indéniable, parce que l’industrie du livre a une très grande valeur ajoutée dans le produit intérieur brut des pays qui ont su la développer. Souvenez-vous que la Camerounaise Imbolo Mbue a vendu un manuscrit de son roman Voici venus les rêveurs à un demi-milliard de francs CFA. Si l’on pouvait mesurer ce que coûte à notre pays, chaque année, l’extraversion de notre production livresque, en termes économiques certes, mais surtout au plan symbolique, puisque nous produisons des savoirs pour d’autres et pas pour nous-mêmes, cette question s’en trouverait évacuée d’elle-même.

D’autres estiment que la littérature est appelée à disparaitre, ce d’autant plus que les jeunes ne lisent plus.  Selon vous, qu’est ce qui peut expliquer cette démotivation de la part des jeunes ? Et quel est l’avenir de la littérature camerounaise ?

La « démotivation » des jeunes est surtout liée à la concurrence que d’autres produits culturels font au livre en général : la télévision, Internet, et tous les autres loisirs qui sont créés quotidiennement. Il y a également la morosité sociale ambiante qui fait du livre un produit de luxe pour les humanités subalternes. Cela dit, il est imprudent de généraliser cette prétendue démotivation (d’où mon usage des guillemets de restriction). La conjoncture sociale évoquée tantôt oriente nécessairement les individus vers des centres d’intérêt étroitement liés à leur vécu. Les savoirs livresques, perçus par beaucoup comme déconnectés de la réalité (ce qui n’est pas juste), font majoritairement la place aux savoirs pratiques censés résoudre les problèmes immédiats de l’individu. Mais cette description ne me semble pas pouvoir impacter sur la qualité des écritures camerounaises, dont le foisonnement ambiant constitue pour moi un gage de leur vitalité et de leur rayonnement futurs.

S’il vous était demandé de faire des propositions aux autorités en vue de la promotion de la littérature, que leur diriez-vous ?

Simplement que l’on comprenne que la culture en général et la littérature camerounaise en particulier ne peuvent être promues en l’absence des lieux d’expression y afférents. Il faut créer un environnement culturel avec des structures de formation, de promotion, de diffusion, de mise en scène.

Interview réalisée par Joseph Essama

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