Cameroun, une société des outrances !

Par Moussa Njoya, Politologue

« Renaître ». Tel est le titre du nouvel opus littéraire de Nathalie Koah. Son deuxième après Revenge porn. Et pas besoin d’être sorcier pour deviner qu’il s’agira de revenir sur toute sa force intérieure qui lui aura permis de se remettre de sa mésaventure avec la star du football, Samuel Eto’o.

Mais au-delà de la critique littéraire, qui somme toute risque être anecdotique, ce qui est par ailleurs intéressant est l’accueil plutôt chaleureux réservé à l’ouvrage de cet auteur au passé plutôt sulfureux. Ce qui renseigne une fois de plus sur la société des outrances qu’est désormais le Cameroun.

Le Kongossa, nouvelle figure du journalisme

Alors qu’elles sont les choses les plus prohibées dans toutes les écoles de journalisme, qu’elles soient formelles ou informelles, les allégations sont devenues la règle dans la pratique du journalisme aujourd’hui au Cameroun. Pire encore, les invectives, les histoires inventées de toutes pièces, les chantages sont plus que répandues.

Mais ce qu’il y a de plus sidérant, c’est de voir la délectation du public pour ces ragots rapportés, faisant de leurs auteurs, véritables chauves-souris à la profession journalistes, les nouvelles figures de proue.

Aussi, n’est-il pas alors rare, de rentrer dans le bureau huppé d’un très haut responsable ou même d’un éminent professeur, et le trouver en de suivre une émission de Kongossa, ou de lire une de ces publications spécialisées dans la fantasmagorie journalistique. Allant jusqu’à en débattre du contenu.

Il n’est pas alors surprenant de voir d’illustres illettrés être les nouveaux magnats de la presse au Cameroun. Leur secret résidant dans leur capacité à tous les travestissements de la vérité, et leur forte inclinaison à la malhonnêteté.

Les prostituées, nouvelles stars de Facebook

Elles se prénomment Amélie, Valérie, Nathalie, Ingrid, etc. D’autres prennent les titres de « Pdg », « Reine du peuple », « Femme fatale », « Chef d’Etat », etc. Elles ont pour caractéristique commune de revendiquer haut et fort leur statut de prostituée de luxe.

Généralement installées en occident, elles sont omniprésentes sur Facebook. Leurs directs, les fameux « live », sur ce réseau social sont suivis au quotidien par des milliers voire parfois de dizaines de milliers de personnes. Leurs publications sont partagées de dizaines de milliers de fois. Tandis que le nombre d’abonnés sur leurs pages dépasse systématiquement la centaine de mille. De quoi faire pâlir d’envie même le président de la république.

Leur secret. La grossièreté la plus abjecte. Récits des ébats sexuels, injures des « homologues » et « amis », invectives des personnalités publiques, séances de striptease, danses déjantées, tout y passe.

Nyangono du Sud et Maahlox au top des charts

S’il en est qui bénéficient d’un succès similaire dans les réseaux sociaux, c’est Malhox le vibeur et Nyangono du sud. Mais leur célébrité est très loin d’être uniquement virtuelle, car ils sont désormais les visages les plus emblématiques de la musique camerounaise.

Il n’y aurait rien à redire si leurs mélodies et leurs textes, ou ce qui en tiendrait lieu, n’étaient pas aux antipodes des prouesses mélodieuses et voluptueuses dont le Cameroun a fait montre par le passé, au point de marquer l’Afrique et le monde. Qu’il est bien révolu le temps glorieux où les Manu Dibango, Black Style, Têtes brulées, Vincent Nguini et consorts envoûtaient le monde par la qualité de leurs sonorités vocales et instrumentales.

Désormais, c’est le règne du « fou fap », du « trou barbu », de la « bière c’est combien ici », et de la « bosse ». Avec cela, on remplit le palais des sports  de Yaoundé, et on est la coqueluche des Canal d’or, ovationné par la première Dame et l’entièreté du gouvernement.

Le « Djansang » se vend très bien

Longtemps conspuée, cachée et unanimement condamnée, la pratique de la dépigmentation de la peau est désormais pleinement assumée au Cameroun. Mieux encore, elle est revendiquée.

Les villes sont désormais pavoisées de plaques publicitaires des produits destinés à cet effet. « Immédiat clair », « là là clair », « teint métisse », « rapid clair », etc. sont vendus au vu et au su de tous, et leurs promotion se fait dans les médias les plus réputés.

Une nouvelle race de « femmes d’affaires » est ainsi née. « Dermatologues » d’un autre genre, elles sont de véritables stars et roulent carrosse. Il faut dire que le filon se  porte plutôt bien et semble inépuisable. Et ce ne sont pas les réprobations, de plus en plus rares, de quelques bien-pensants et autres « conservateurs » qui y changeront quelque chose.

L’injure comme idéologie politique

Le rachitisme des « projets de société » et autres « programmes » lors de la récente élection présidentielle a suffisamment renseigné sur la vacuité idéologique et programmatique de la très grande majorité des candidats.

Faute d’arguments construits, les débats politiques ont virés à la foire d’empoigne. Injures, quolibets, menaces, servant de succédanées. De pansement sur l’absence de visions et de propositions crédibles et alternatives.

C’est désormais à quel camp insultera le plus. On se trouve des « appellations » les plus dénigrantes les unes plus que les autres. En guise de réponse à toute critique, on s’attaque à son auteur. On s’en prend à son physique, sa famille, sa tribu, sa religion. Et presque jamais à ses idées.

Dans cette dynamique où la gadoue se dispute à vaudeville, de novelles célébrités sont nées. Et dans cette catégorie, Patrice Nganang à n’en point douter tient le haut du pavé. Et de nouvelles « vocations » sont nées. « Amer Kamer », « Jean Louis Batoum », « Dit Farabor », « Léon Messey », « Boris Bertolt », « Paul Tchouta », « Mathieu Youbi » et Cie  lui ont pour le moins allègrement emboité le pas.

La démolition des icônes consacrées

Dans cette perte de lucidité généralisée, on n’hésite plus à s’attaquer aux icônes. C’est ainsi qu’un Patrice Nganang, à l’activité d’écrivain et de scientifique encore embryonnaire, et à la reconnaissance internationale presqu’invisible, peut s’attaquer à un Achille Mbembe, et être applaudi par ses « fans ». Il en est de même de ces personnes n’ayant pas franchi le seuil du premier cycle du collège, qui remettent en question les diplômes et le savoir d’un Maurice Kamto. Que dire de ces « artistes » à la carrière jouvencelle voire pucelle qui estiment que « le Makossa est mort », car Ben Decca, Toto Guillaume, Guy Lobè, etc. n’ont rien fait.

Loin de toute idée de construire des temples avec des « dieux » infaillibles et non critiquables. La remise en question serait intéressante si celle si était basée sur des aspects techniques et théoriques dont on a la parfaite maitrise. Nul ne se plaindrait si la critique d’un Ni John Fru Ndi portait sur la cohérence de ses participations et non-participations aux différentes élections, par exemple. Si la pensée de Luc Sindjoun était attaquée sur ses fondements et postulats. Si la mélodie de Sam Mbende était questionnée sur la forme des gammes.

Mais le malheur veut que les seuls arguments soient : « cochons », « sardinards », « tontinards », « bulus », « tu mens », « fiches le camp », etc. Avec toute l’arrogance qui sied à l’ignorance.

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