Cabral Libii : « La vie politique est suspendue aux calculs du chef de l’Etat »

Initiateur du mouvement 11 millions de citoyens et classé 3ème à l’issue de la dernière présidentielle, Cabral Libii s’exprime sur la mise en place prochaine des Conseils régionaux, le processus de légalisation de son parti et les restrictions des libertés fondamentales au Cameroun.

Cabral Libii, en pleine zone de turbulence.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de l’adoption du projet de loi portant organisation des premières élections régionales au Cameroun, par le Parlement ?

Rien… Ça relève des habitudes condescendantes du régime… Voilà un pays dont la vie politique est suspendue aux calculs d’un chef d’État qui a résumé l’exercice de son pouvoir à manipuler la constitution pour la préservation de son pouvoir.

Comment appréciez-vous le fait que ces élections puissent se tenir avant les municipales ?

Il est facile de comprendre que l’éveil politique qu’a connu le citoyen camerounais oblige le régime à réfléchir à des stratégies de pérennisation. L’annonce de la victoire ou du moins de l’affaiblissement du Rdpc à l’issu des scrutins législatifs et municipaux explique ceci. Maintenant pour ce que j’en pense, au risque de me répéter, c’est que le régime s’est enfermé dans un juridisme systématique. Je parle bien d’une interprétation de la loi qui lui sied, sauf qu’on ne peut pas toujours se mettre en marge de l’éthique et de la vertu. A force de tirer sur la corde, la population au nom de qui ils gouvernent ne se reconnaîtra plus en eux, les exemples de l’Algérie et du Soudan sont instructifs de la lassitude d’une population qui ne se reconnait plus en ses dirigeants.

Sans tenir compte des revendications de l’opposition, le parti au pouvoir a modifié et complété unilatéralement le Code électoral. Selon vous, qu’est-ce qui peut expliquer une telle manœuvre ?

Je saluerai toujours un management qui sait se remettre en question. Le caractère unilatéral de la modification, est conforme à la condescendance du régime, il n’est plus utile de revenir dessus. Par contre, ce qui peut être intéressant, c’est d’étudier ces modifications et de juger de la volonté du régime à avoir un code électoral consensuel.

Vous avez déposé une demande de légalisation de votre parti depuis des semaines, mais l’administration territoriale tarde à vous délivrer cet acte de naissance. Pourquoi une telle réticence d’après vous ?

Je ne peux me verser dans les supputations pour justifier les lenteurs administratives généralisées du gouvernement. Vous remarquerez la constance dans cette façon d’évacuer les affaires de l’Etat. Par contre je sais qu’en cas de silence administratif, le parti est légalisé au bout de 3 mois.

Que comptez-vous faire si jamais l’administration publique venait à ne pas légaliser votre parti avant la tenue des prochaines régionales ?

En cas de non légalisation ? Nous avons un plan B. Nous évoluerons au sein du Pcrn ( parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale, Ndlr.) et je rappelle que la convention avec le parti Univers reste et demeure d’actualité.

Qu’est-ce qui explique le fait que les libertés fondamentales semblent de plus en plus restreintes au Cameroun depuis la dernière présidentielle ? Selon vous, le régime en place a-t-il peur ou se reproche-t-il de quelque chose ? Si oui, quoi par exemple ?

Les libertés fondamentales ne sont pas plus restreintes qu’avant. Je vous rappelle l’embastillement des leaders politiques qu’étaient feu Samuel Eboa, et Jean-Jacques Ekindi et bien d’autres. Ça relève d’une constance du régime. Ce que je qualifierai de regain de restriction, s’explique simplement par l’entrée de nouveaux acteurs politiques qui sont dans la logique de défiance de l’ordre établi par des moyens plus ou moins républicains. On se retrouve donc dans un schéma qui oppose un régime prêt à tout pour asseoir son pouvoir d’un côté, et de l’autre une opposition prête à tout pour arriver au pouvoir. Si vous me demandez où je me situe dans ce combat, je dirai simplement que seul le peuple décide. Il décide de l’opportunité, de la méthode, et même du leadership. Je suis au service du peuple, je suis sur le terrain, je le sensibilise, je le responsabilise…

« …les exemples de l’Algérie et du
Soudan sont instructifs de la
lassitude d’une population… »

Des partisans du Mrc sont embastillés depuis des mois. Cette situation vous interpelle-t-elle en tant qu’acteur de l’opposition ? Votre parti envisage-t-il d’engager des actions pour demander leur libération ?

Évidemment que cette situation m’interpelle. Il est quand même inquiétant que dans un pays se disant démocratique que l’on puisse réduire les droits fondamentaux des citoyens par le biais de lois floues. Oui, les manifestations peuvent être interdites par le représentant de l’administration territoriale si elles peuvent mener aux troubles à l’ordre public. Il est donc intéressant de savoir ce qu’on met dans ‘’trouble à l’ordre public’’. Est-ce qu’on envisage mener des actions pour demander leur libération ? Nous l’avons fait dès que l’information nous est parvenue, mais attention !!! Nous ne nous substituerons pas aux institutions judiciaires de notre pays, nous n’avons pas tous les éléments du dossier et ne pouvons pas avoir une position en l’absence des détails du dossier. Nous militons pour qu’ils soient jugés dans le respect de la loi, dans la transparence. Nous nous mobiliserons pour le respect de leurs droits.

Quel bilan faites-vous des actions que vous menez sur le terrain depuis le mois de janvier 2019 ?

Le bilan est très bon. Je ne remercierai jamais assez les populations qui me suivent et m’accueillent, me couvrent de leur sollicitude et de leur affection. Une fois dit, je peux vous dire que rien ne vaut le terrain. On réalise que le service public de base n’est pas rempli, des milliers de compatriotes sans cartes d’identités, des compatriotes qui n’ont pas le temps de s’occuper de la politique parce que leurs besoins primaires sont leurs préoccupations. Quand je vois ça j’ai mal, et ça me conforte dans mon choix de me battre pour mes frères.

Interview réalisée par Joseph Essama

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