Brice Stéphane Ondigui Avele: « Les conflits armés au Cameroun connaissent l’implication des mercenaires étrangers »

Chercheur associé au Harriet Tubman Institute (York University), Toronto, il analyse la vidéo diffusée il y a quelques jours par le Mouvement de Libération du Cameroun.

Un mouvement de libération du Cameroun vient de produire une vidéo demandant aux camerounais de prendre les armes. Quels commentaires faites-vous de cette actualité?

Depuis à peu près une dizaine d’années, le Cameroun est travaillé par des crises sécuritaires plus ou moins sérieuses et dont l’importance stratégique n’a cessé de croître au fil du temps. La plupart de ces crises aujourd’hui ont d’ailleurs largement dépassé le seuil critique, provoquant un redéploiement beaucoup plus complexe des forces de défense et de sécurité (FDS) même si les résultats restent mitigés. Un tel harcèlement en profondeur et dans le temps du dispositif camerounais de défense et de sécurité, associé à d’autres facteurs a fortement contribué à dégrader la perception de l’identité militaire du pays. Ce qui a donné du zèle et du courage à certains ennemis qui jusque-là, n’avaient encore jamais osé l’affrontement armé. Il faut bien le dire, ces crises qui éclatent aujourd’hui sont pour l’essentiel des conséquences de problèmes sociopolitiques qui couvent depuis plusieurs décennies. La menace d’apparition d’un nouveau front dans un tel contexte n’augure rien de bon  d’où  qu’il  vienne.

Pour motiver ses intentions, le mouvement met en avant des arguments qui tournent autour du mal-être et de la mauvaise gouvernance, pensez-vous que cela suffit pour prendre les armes? N’y voyez vous pas une main politique cachée derrière ce mouvement?

Aucun argument n’est suffisamment fort pour justifier le recours à la violence armée dans le cadre d’une revendication politique. Mais le chercheur en Science en Politique en lui sait pertinemment qu’il s’agit là d’un “idéal naïf”. Depuis que les Hommes peuplent la terre, ceux-ci semblent prendre un vrai plaisir à s’entretuer par tous les moyens possibles et imaginables. Si vous vous intéressez un peu à l’histoire de la guerre, vous découvrirez vite que des conflits armés plus spectaculaires dans le monde ont été déclenchés par beaucoup moins que les arguments dont vous parlez. En fait, il n’existe pas une unité de mesure standard et universelle servant à déterminer un seuil au-delà duquel il faut nécessairement prendre les armes. Néanmoins, la Sociologie des Conflits a permis d’identifier un certain nombre de facteurs qui, mis ensemble, sont susceptibles de cristalliser les antagonismes de manière suffisamment forte pour créer des conditions parfaites pour une conflictualité armée. Et comme je l’ai déjà dit en répondant à votre première question, le Cameroun présente depuis plusieurs années déjà, un concentré de ces éléments. Sur les trois antagonismes constituant la matrice conflictuelle selon Philippe Braud, c’est-à-dire les antagonismes de frustration; les antagonismes de dépendance, et les antagonismes de concurrence, les deux premiers sont très clairement identifiables dans la trajectoire de la crise anglophone par exemple. C’est donc aux autorités publiques et aux leaders politiques d’en tenir compte. Quant au dernier volet de la question, ce qu’il faut savoir c’est que s’attaquer à un régime ou à un pouvoir politique aux fins de le destituer constitue en soi un projet politique et on ne saurait parler de projet politique sans force ou acteur politique derrière. La question n’est donc pas celle de savoir s’il y a une force politique cachée derrière, mais  bien  quelle  force  ou  coalition  de  forces  politiques est  derrière  cette  initiative.

Certains experts ont parlé depuis plusieurs années du coup d’Etat par émiettement,  est-ce  ce  qui  est  en  train  de  se  confirmer?

La formulation de votre question trahit la fixation faite ces dernières années sur la question de l’alternance au sommet de l’Etat camerounais. Bien sûr, la dynamique actuelle tend plus vers un tel scénario, mais il faut bien comprendre que l’enjeu premier n’est pas tant que ça la place de M. Biya à la tête du Cameroun même si c’est ce que le régime de Yaoundé s’emploie à faire croire parce qu’évidemment c’est la version qui l’arrange le mieux. Le problème est davantage celui de l’exaspération d’une population poussée à bout par une gouvernance catastrophique, agressive, inefficace dans plusieurs cas et systématiquement inefficiente. En d’autres termes, ce n’est pas la place du président Biya qui pose problème, mais plutôt ce qu’il a fait et/ou fait de cette dernière. Le niveau de frustration est tel que dans certains coins du pays, il faut avoir les nerfs solides et l’âme vraiment pieuse pour ne pas ressentir des envies de meurtres quand on pense au régime ou qu’on le voit à l’œuvre. Ce sont ces velléités de révolte fortement disséminées au sein de la population camerounaise et particulièrement dans certaines couches sociales et catégories ethno-tribales qui provoquent l’ouverture de fenêtres d’opportunités que tentent de saisir au passage des entrepreneurs politiques souvent opportunistes. Ces derniers étant pour la plupart dépassés sur un terrain politique conventionnel contrôlé de bout en bout par le régime du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) au moyen de plusieurs stratagèmes dont la fraude,  l’intimidation,  la  corruption,  la  violence…

Avec tous les mouvements armés qui opèrent déjà dans plusieurs régions du Cameroun,  le  pays  pourra-t-il  continuer  de  tenir  face à  tout  cela?

La première chose à retenir ici c’est que si tout devait s’arrêter maintenant et qu’on en faisait le bilan, le Cameroun partirait d’ores et déjà grand perdant. Ce qu’il s’agirait davantage de faire, c’est de limiter les dégâts. Est ce que cela est possible? La réponse est sans aucun doute oui! Mais ce serait là une tâche assez complexe car figurez vous que même si par miracle, l’on réussissait à régler nos problèmes politiques dès aujourd’hui, il nous resterait quand même sur les mains d’importants problèmes sécuritaires à gérer. Un défi majeur au regard de l’incapacité de l’État camerounais à revendiquer avec succès une pleine et entière souveraineté sur tout son territoire, dans le sens d’une maîtrise totale des frontières et de l’intérieure de celles-ci. Je ne trahis aucun secret en affirmant que tous les récents conflits armés au Cameroun ont connu ou connaissent l’implication active de mercenaires étrangers. Dans la vidéo qui a motivé cet entretien, vous pouvez voir celui qui apparaît comme le leader du mouvement reconnaître qu’ils ont dans leurs rangs des mercenaires venant d’autres pays africains. Or, un constat pertinent sur le continent révèle que la plupart des secteurs d’activitésgénératrices de revenus connaissent un faible taux de professionnalisation. Ailleurs, un mercenaire professionnel par exemple, lorsque vous mettez fin à son contrat et payez son dû, il disparaît aussitôt et presque sans laisser des traces! Les “mercenaires à la sauvette” recrutés ici et là sur le continent quant à eux, ont souvent beaucoup de mal à lever le camp, trop attachés qu’ils sont aux divers avantages liés à leurs activités sur le théâtre du conflit où ils sont invités (extorsion, raquette, confiscation de biens, viol, adrénaline due aux tueries etc.). Beaucoup se reconvertissent généralement en gangs de brigands transnationaux, véritables entrepreneurs d’insécurité. Il n’y a, dans les faits, aucune garantie que les mercenaires enrôlés aujourd’hui dans les rangs du MLC déposent les armes sans encombre en cas de règlement politique du problème à l’origine de cette nouvelle rébellion. Pas plus qu’il y en ait d’ailleurs pour tous les combattants camerounais au sein du même mouvement. Ce serait donc un challenge de taille dans lequel les populations devraient jouer un rôle capital non seulement en évitant de céder aux sirènes du tribalisme, mais aussi en accompagnant les FDS dans une dynamique de défense populaire renforcée, dans le processus de sécurisation du pays. Mais tout ceci ne pourra se faire que si les problèmes politiques sont effectivement résorbés et la confiance des populations regagnée. Le moins que l’on puisse dire à ce stade, c’est  que  nous  en  sommes  encore  loin.

Interview réalisée par Joseph Essama

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