Boko Haram, la guerre oubliée !

Par Moussa Njoya, politologue

Anglophone Crisis: Suggestions on engaging in Inclusive Dialogue

Les scènes macabres des soldats et civils sauvagement abattus lors de l’attaque dans la nuit du 9 au 10 juin 2019 de Darak, un village du pourtour du Lac Tchad, vraisemblablement par des terroristes islamistes, sont venues rappeler au Camerounais, ainsi qu’à l’opinion internationale, que la guerre contre Boko haram était loin d’être terminée, et que, loin d’être réglée, elle était juste oubliée.

Crise anglophone et détournement de l’attention populaire

La montée en puissance de la crise anglophone, qui est partie de simples revendications corporatistes à une véritable crise insurrectionnelle avec à la clé son lot quotidien d’horreur, a eu pour principale conséquence le détournement de l’attention des populations de la situation sécuritaire qui prévaut dans le septentrion en général, et la région de l’Extrême-nord en particulier.

Ceci s’expliquant dans une large mesure par le phénomène de la nouveauté et la nature de cette nouvelle guerre qui touche davantage les Camerounais, tant en ce qui concerne les enjeux majeurs, notamment l’intégrité et l’unité nationales, que ses effets sur les plans humanitaires, culturels et politiques. Les populations, surtout celles du grand sud du Cameroun, vivent davantage dans leur chair la guerre qui prévaut actuellement dans la zone anglophone, contrairement au conflit Boko Haram  qu’elles vivaient un peu au loin.

Déficit de médiatisation et démobilisation sociale

En plus de la proximité et de la gravité de la crise anglophone, c’est surtout son actualité qui a fait oublier la guerre contre Boko haram. Il est connu de tous que les médias, tout comme l’opinion publique, sont en quête permanente de nouveautés.

Et le moins que l’on puisse dire est que l’instauration de la société de l’information, renforcée par la mondialisation, a installé un consumérisme compulsif chez les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, au point de faire très souvent de ces derniers des charognards, et des journalistes des croque-morts.

La recherche permanente du sensationnel devenue la sacro-sainte règle dans le domaine de la communication en général n’arrangeant assurément pas les choses, il s’ensuit que la « banalisation » des attaques de Boko Haram a largement contribué à éclipser ce conflit de la scène médiatique. A ce jour, seuls de très rares journaux, comme L’œil du sahel ou dans une certaine mesure Le Jour, dont les directeurs de publication sont du septentrion, font encore un effort de couverture régulière des exactions de la secte Boko haram. Celles-ci faisant désormais l’objet de brèves dans les médias à capitaux publics.

La principale conséquence étant, entre autres, la démobilisation sociale. Qu’il est bien révolu, le temps des grandes marches sur l’ensemble du territoire national contre Boko haram. Tout comme de grandes contributions à « l’effort de guerre » et de soutien aux soldats engagés au front, ainsi qu’aux victimes de guerre et leurs familles. Il faut dire que dans ce qui apparaissait comme un vaste élan de compassion, il y avait beaucoup de valorisation personnelle. La sous-médiatisation entrainant l’extinction des projecteurs, la très grande majorité de « bienfaiteurs » s’en est allé.

Déficit de coopération et amoindrissement de la solidarité internationale

Parmi ces donateurs qui se sont éclipsés en grand nombre, il y a les organismes d’assistance internationale. Il convient de mentionner que les Organisations non gouvernementales et autres agences gouvernementales et intergouvernementales vivent littéralement de l’indignation collective. Par conséquent, l’effritement de celle-ci entraine une réduction drastique des financements et des postes.

Pendant les trois premières années de la crise Boko haram, entre 2014 et 2017, du fait de la nouveauté de cette menace et surtout de l’effroi qu’engendrait ses actions, l’Extrême-nord du Cameroun a connu une déferlante des organisations humanitaires. Au grand plaisir des agents et autres « fonctionnaires » de la solidarité internationale. Pas un jour ne passait sans que le quotidien public, Cameroon Tribune, et les sites spécialisés ne publient des annoncent de recrutements de personnels ou de prestataires dans divers projets dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la protection des réfugiés.

A la faveur de la « banalisation » de cette crise et de la relative accalmie observées sur le front, la plupart des programmes ont été clôturés ou sont en voie de l’être, au profit de nouvelles crises, telle que celle qui prévaut dans le nord-ouest et le sud-ouest.

Sur le plan militaire, l’on observe également la même dynamique. C’est ce qui explique dans une large mesure le départ des 300 soldats américains, ainsi que de bon nombre de coopérants russes. De même, les efforts des pays concernés ainsi que ceux de leurs partenaires, pour la mise sur pied et le fonctionnement des initiatives sécuritaires communes telle que la force multinationale mixte, sont pratiquement à l’arrêt, la majorité des promesses n’ayant pas été tenues.

Diminution des troupes et abandon des comités de vigilance

Sur le plan interne également, la sollicitation des forces de défense et de sécurité sur d’autres théâtres des opérations, telles que la zone anglophone ou encore les régions de l’Adamaoua et de l’Est, a entrainé une diminution drastique des troupes ainsi que du matériel engagés dans la lutte contre Boko haram.

Pire encore, les comités de vigilance qui ont été d’un appui fondamental et très déterminant dans la lutte contre les mouvements terroristes djihadistes dans la région sont désormais à l’abandon, pratiquement livrés à eux-mêmes. Conséquence, les villages et les villes de l’Extrême-nord sont plus que jamais à la merci de ces groupes.

Crise post-électorale et gros scandales gouvernementaux

Depuis octobre 2018, le Cameroun est engagé dans une crise post-électorale dont les développements quotidiens, notamment les arrestations des militants et responsables du mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) ainsi que de leurs alliés, cristallisent l’attention de l’opinion publique nationale et internationale.

Celle-ci est tout aussi captivée par les gros scandales de la république à l’instar du retrait de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (Can) que le Cameroun devait en principe abriter en 2019, avec de forts relents de détournements massifs des deniers publics. L’humiliation de la nation camerounaise toute entière en plus.

L’autre fait de diversion de l’opinion publique est la relance de l’opération épervier, marquée par les arrestations d’anciens pontes du régime, désormais tombés en disgrâce, notamment Basile Atangana Kouna, ancien ministre de l’eau et de l’énergie, et surtout l’ancien ministre délégué à la présidence de la république chargé de la défense, Edgard Alain Abraham Mebe Ng’oo et son épouse.

Le drame n’a jamais cessé !

Tout ceci contribue à faire oublier le drame de Boko haram qui n’a jamais pour autant cessé. En effet, contrairement à ce que les citoyens ordinaires et les observateurs de la vie politique camerounaise peuvent penser, la guerre contre Boko haram n’a jamais cessé.

Pas un seul jour ne se passe sans que l’on ne fasse part d’une attaque d’une localité de la région de l’Extrême-nord par les Boko haram. Les scènes des villages du Mayo-Sava et surtout du Mayo-Tsanaga se vidant à l’approche de la soirée pour que les habitants se réfugient dans les montagnes, par crainte des attaques nocturnes des terroristes, sont devenues banales. Dans cette dynamique de déplacements des populations, le flot des réfugiés, loin de s’estomper ou de diminuer, tend à même à s’accélérer ces derniers mois.

Des villages entiers, à l’instar de Zelete dans le Mayo-Tsanaga en janvier 2019, sont incendiés. Les enlèvements se portent plus que bien, tandis que le harcèlement des forces de défense et de sécurité par les djihadistes est permanent. Le tout souvent dans l’indifférence générale.

 

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